Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/425

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« On s’enrichit, en quelque sorte, par la bienfaisance et l’on prend part à la joie qu’on fait naître. » La relation avec le moi empêche de la Mettrie de reconnaître dans toute son étendue la vérité générale, qu’il effleure dans ce passage. Avec quelle précision et quelle élégance supérieures Volney s’exprime plus tard dans son Catéchisme du citoyen français ! La nature, y est-il dit, a organisé l’homme pour la société. « En lui donnant des sensations, elle l’organisa de telle sorte que les sensations des autres se reflètent en lui ; de là naissent des sensations simultanées de plaisir, de douleur, de sympathie, qui sont un charme et un lien indissoluble de la société. » Sans doute ce charme ne fait pas non plus défaut ici comme trait d’union entre la sympathie et le principe de l’égoïsme, que décidément toute cette série de moralistes français, à partir de de la Mettrie, regardait comme indispensable. — Par un audacieux sophisme, la Mettrie fait même découler de la vanité le mépris de la vanité, lequel lui semble être le point culminant de la vertu. « Le vrai bonheur, déclare-t-il, doit venir de nous-mêmes et non des autres. Il y a de la grandeur, quand on dispose des cent voix de la Renommée, à leur imposer silence, et à suffire soi-même à sa propre gloire. Quiconque est sûr de pouvoir par son mérite personnel contre-balancer li approbation de sa ville natale tout entière, ne perd rien de sa gloire quand il décline le suffrage de ses concitoyens et se contente de sa propre estime. »

Ce n’est pas, comme on le voit, de la source la plus pure qu’il fait découler les vertus ; mais il reconnaît l’existence des vertus, et l’on n’a pas de motif pour douter de sa sincérité. Que faut-il penser toutefois de sa fameuse justification ou même de son éloge des vices ?

De la Mettrie déclare avec beaucoup de justesse, à son point de vue, que toute la différence entre les bons et les mauvais consiste en ce que chez les premiers l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt privé, tandis que le contraire a lieu