Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/448

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sible qu’il y ait du désordre dans ce qui émane de son ordre éternel, c’est-à-dire de son cours régulier ; mais le Système de la nature ne nie pas que des phénomènes de ce genre produisent sur des personnes sensibles et compatissantes l’impression d’un désordre, d’une abominable perturbation. Voltaire n’a donc rien prouvé qui ne fût accordé à l’avance ; quant au fond même de la question, il ne l’a pas même effleuré d’une syllabe. Voyons s’il prouve davantage pour le monde moral.

« Le meurtre d’un ami, d’un frère, n’est-il pas un horrible trouble dans le domaine moral ? Les calomnies d’un Garasse, d’un Tellier, d’un Doucin contre les jansénistes et celles des jansénistes contre les jésuites ; les tromperies d’un Patouillet et d’un Paulian, ne sont-elles pas de petits désordres ? La Saint-Barthélemy, les massacres d’Irlande etc., etc., ne sont-ils pas d’exécrables désordres ? Ces crimes ont leur cause dans les passions, dont les effets sont abominables ; la cause est fatale ; mais cette cause nous fait frémir. »

Sans doute le meurtre est un acte qui nous fait frémir et que nous regardons comme une effroyable perturbation de l’ordre moral dans le monde. Cependant nous pouvons arriver à la pensée que les désordres et les passions, qui donnent naissance aux crimes, ne sont que des effets nécessaires, inséparables des actes et des impulsions de l’homme, comme l’ombre est inséparable de la lumière. Nous serons absolument forcés d’admettre cette nécessité, dès que, au lieu de jouer avec l’idée de cause, nous reconnaîtrons sérieusement que les actions de l’homme sont reliées entre elles et avec l’ensemble de la nature des choses par un enchaînement de causes complet et déterminant. Car alors, ici comme sur le terrain physique, nous trouverons une essence fondamentale commune à tout, indissolublement liée dans toutes ses parties par l’enchaînement des causes, la nature elle-même, qui agit d’après des lois éternelles et produit en vertu du même ordre immuable la vertu et le crime, l’indignation