Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/471

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de la sensation nous paraît naturel, de même que plusieurs points semblent se réunir en un seul, quand nous en éloignons notre œil physique. Les choses ne seraient-elles compréhensibles qu’au tant que nous restreignons systématiquement l’emploi de notre intelligence, comme le disent les philosophes écossais dans leur théorie du « sens commun » ? Ce n’eût pas été un rôle pour Leibnitz ! Nous le voyons en face de la difficulté : choc, comme le voulait déjà Épicure, ou action à distance, comme le voulaient les successeurs de Newton — ou — pas d’action du tout.

Voilà le saut périlleux pour l’harmonie préétablie. Nous ne demanderons pas si Leibnitz est arrivé à sa théorie par des réflexions semblables ou par une soudaine inspiration ou n’importe comment. Mais ici se trouve le point qui fait la valeur principale de cette théorie, et c’est aussi le point qui la rend si importante pour l’histoire du matérialisme. On ne peut se figurer et par conséquent on ne peut admettre que l’action des atomes les uns sur les autres ait pour résultat de produire des sensations en un ou plusieurs d’entre eux. L’atome tire ses sensations de lui-même : c’est une monade se développant d’après ses propres lois vitales internes. La monade n’a pas de fenêtres. Rien n’en sort, rien n’y entre. Le monde extérieur est sa représentation, et cette représentation prend naissance dans la monade elle-même. Ainsi chaque monade est un monde en soi ; aucune ne ressemble à une autre. L’une est riche en représentations, l’autre, pauvre. Mais l’ensemble des idées de toutes les monades forme un système éternel, une harmonie parfaite, établie avant le commencement des temps (préétablie) et restant immuable malgré les vicissitude continuelles de toutes les monades. Chaque monade se représente, obscurément ou clairement, l’univers tout entier ; la somme de tout ce qui se passe et l’ensemble de toutes les monades constituent l’univers. Les monades de nature inorganique n’ont que des idées qui se neutralisent comme chez l’homme durant un sommeil