Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/497

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familles se manifeste de la manière la plus évidente dans la chute d’Alcibiade ; bien que pour des faits, où les influences cléricales et aristocratiques agissent de concert avec le fanatisme de la populace, il soit difficile de démêler tous les fils de l’événement. Quant à l’orthodoxie, on ne peut assurément pas la comparer à un système de doctrines organisé d’après une méthode scholastique. Un pareil système serait né peut-être, si la théocrasie (fusion des cultes) des théologiens delphiques et des mystères ne fût venue trop tard pour pouvoir entraver, dans l’aristocratie et la haute bourgeoisie, le développement des idées philosophiques. On s’en tint donc aux tortues mystiques du culte sous lesquelles chacun pouvait avec liberté penser ce qu’il voulait. La doctrine générale de la sainteté et de l’importance de certaines divinités déterminées, de certaines formes du culte, des termes et des rites consacrés en resta d’autant plus inviolable. Le jugement individuel fut ici absolument prescrit et tous les doutes, tous les essais d’innovation illicites, toutes les discussions téméraires, s’exposaient à un inévitable châtiment. Il y avait cependant aussi, relativement aux traditions mythiques, une grande différence entre la liberté laissée aux poètes et les formes arrêtées de la tradition sacerdotale qui se rattachait immédiatement aux cultes des différentes localités. Un peuple qui trouvait, dans chaque ville, d’autres dieux avec des attributs dissemblables, une généalogie et une mythologie différentes, sans se laisser dérouter dans sa foi à la sainte tradition locale, devait aisément permettre aux poëtes de manier, à leur gré, la matière générale et mythique de la littérature nationale ; mais si, dans ces libertés, se produisait la moindre attaque, directe ou indirecte, contre la tradition des divinités locales, le poète, comme le philosophe, courait de grands dangers. On pourrait aisément allonger la liste des philosophes persécutés dans la seule ville d’Athènes, que nous mentionnons dans notre texte ; y ajouter Stilpon et Théophraste[1] ; les poètes, comme Diagoras de Melos, dont la tête fut mise à prix ; Eschyle qui, pour une prétendue indiscrétion relative aux mystères, vit son existence en danger et ne trouva grâce devant l’Aréopage, que par égard pour son génie poétique ; Euripide, qui fut menacé d’être mis en accusation comme impie, etc.

La lutte de la tolérance et de l’intolérance citez les Athéniens se comprend surtout à l’aide d’un passage du discours contre Andocide[2],

  1. Meier et Schœmann, Attischer Prozess, p. 303 et suiv.
  2. Blass. Attische Beredsamkeit, p. 566 et suiv. Cet auteur soutient que ce discours n’était pas de Lysias, mais bien une accusation énoncée textuellement dans ce procès.