Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/498

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où il est dit que si Diagoras de Melos avait outragé un culte d’un pays différent du sien, sa qualité d’étranger était une circonstance atténuante, tandis qu’Andocide avait offensé la religion de sa propre patrie. Or on devait être plus sévère à l’égard des nationaux qu’envers des étrangers, ces derniers n’ayant pas offensé leurs propres dieux. Cette excuse personnelle devait, presque toujours, se changer en un acquittement, quand l’offense ne s’adressait pas d’une manière directe à des divinités athéniennes, mais seulement à des divinités étrangères. Ce même discours nous apprend que la famille des Eumolpides était autorisée, dans certaines circonstances, à punir les impies d’après des lois secrètes, dont on ne connaissait pas même les auteurs ; ces jugements se rendaient sous la présidence de l’archonte-roi[1], détail, à vrai dire, insignifiant pour notre sujet.

Si Aristophane, l’archi-conservateur, put se permettre de persifler les dieux et de ridiculiser, d’une manière acerbe, la superstition récemment venue du dehors, cela tient à ce que le terrain, sur lequel il se plaçait, était tout à fait différent ; et, si Épicure ne fut pas poursuivi, c’est uniquement parce qu’en apparence, il adhérait complètement au culte extérieur. La tendance politique de plus d’un de ces procès en confirme l’origine fanatico-religieuse, bien loin de la détruire. Si l’accusation d’impiété (ἀσέβεια) était un des moyens les plus sûrs de renverser des hommes d’État, même populaires, on doit admettre sans contestation que non-seulement la loi, mais encore le fanatisme populaire condamnaient les accusés. Voilà pourquoi nous devons regarder comme incomplète l’exposition des rapports entre l’Église et l’État, qui se trouve dans Schœmann[2] ainsi que la dissertation déjà mentionnée de Zeller.

Les persécutions ne portaient pas toujours sur la violation des pratiques du culte, mais souvent sur la doctrine et l’hétérodoxie ; c’est ce que semble démontrer clairement la majorité des accusations dirigées contre les philosophes. Mais, si l’on songe au nombre réellement considérable de procès de ce genre, connus pour une seule ville et pour une période relativement courte, ainsi qu’aux dangers graves qu’ils pouvaient faire courir, il sera difficilement permis d’affirmer que la philosophie ne fut atteinte que dans quelques-uns de ses représentants. On peut donc se demander sérieusement pour ce temps-là, comme pour la philosophie des XVIIe siècle, XVIIIe siècle (et XIXe siècle ?), jusqu’à quel point la nécessité de s’accommoder à la foi populaire, qu’ils l’aient fait ou non

  1. Voir Meier et Schœmann p. 117 et suiv.
  2. Griechieche Alterthümer, 3e éd. I, p. 117.