Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/499

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avec conscience sous la menace de persécutions, a dénaturé les systèmes des philosophes.

3 [page 4]. Voir Zeller[1], et les écrits cités par Marbach[2] qui parurent dans le siècle dernier, non pas tout à fait accidentellement, au temps de la lutte relative au matérialisme. Remarquons ici, quant au fond de la question, que Zeller me paraît déprécier Thalès et que le passage[3] sur lequel on fondait antérieurement le théisme de Thalès, trahit évidemment le jugement superficiel de Cicéron et que l’expression fingere ex s’applique à l’architecte place en dehors de la matière de l’univers ; tandis que Dieu, comme raison du monde, surtout dans l’esprit des stoïciens, n’est qu’un Dieu immanent, non anthropomorphe, non personnel. Il se peut que la tradition des philosophes stoïciens repose sur la simple interprétation dans le sens de leur système d’une tradition antérieure, mais il n’en résulte pas que cette explication soit fausse, abstraction faite de l’authenticité des termes. En bonne logique, l’assertion, probablement authentique, que tout est rempli de dieux, pourrait bien avoir servi de base aux interprétations : cette assertion est admise par Aristote[4] comme étant évide minent symbolique, et le doute qu’il exprime par un peut-être (ἴσως) se rapporte (avec raison !) à sa propre interprétation, qui est en réalité bien plus téméraire et plus invraisemblable que celle des stoïciens. Réfuter l’interprétation de ces derniers par la Métaphysique d’Aristote[5], est inadmissible a priori, parce que, dans ce passage, Aristote fait ressortir incontestablement l’opinion d’Anaxagore qui se rapproche de son propre système philosophique, c’est-à-dire la séparation de la raison créatrice du monde, comme cause primitive cosmogonique, d’avec la matière sur laquelle elle opère. La doctrine d’Anaxagore, ne suffit pas à Aristote, comme le prouve le chapitre qui suit immédiatement, parce que le principe transcendant n’y apparaît qu’occasionnellement, comme un Deus ex machina, et n’est pas appliqué d’une manière logique ; c’est là une conséquence nécessaire de tout ce passage d’Anaxagore, qui ne contient d’ailleurs qu’une théorie transitoire et nullement exempte de contradictions. L’éloge que fait Aristote du prétendu mérite d’Anaxagore et la vivacité avec laquelle il lui reproche son inconséquence, sont inspirés par le même zèle fanatique que le Socrate de Platon[6] déploie dans le Phédon sur le même sujet.

  1. Philosophie der Griechen, 3e ed. I, p. 176, note 2.
  2. Geschichte der Philosophie, p. 53.
  3. De natura Deorum, I, 10, 23.
  4. Περὶ ψυχῆς, I, 5, 17.
  5. Μετὰ φυσικά, 1, 3 et aussi Zoller, I, 173.
  6. Φειδὼν, ch. XLVI.