Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1877, tome 1.djvu/510

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génie artistique avec la dialectique abstraite et la logique serrée, que Lewes a mise en relief avec tant de pénétration, a produit un ensemble hétérogène et a bouleversé complètement les têtes philosophiques dans les époques suivantes par l’extrême confusion de la science avec la poésie.

48 [page 66]. Zeller[1] reconnaît très-bien que les mythes platoniciens ne sont pas seulement les enveloppes de pensées que Platon possédait aussi sous une autre forme, et qu’ils se produisent alors que Platon veut expliquer des idées qu’il est incapable de rendre sous une forme strictement scientifique. Mais c’est à tort qu’on en fait une faiblesse du philosophe qui serait ici encore trop poète et trop peu philosophe. Car les problèmes, que Platon a osé aborder, sont d’une nature telle, qu’on ne peut les résoudre qu’à l’aide d’une langue imagée. Il est impossible de connaître d’une manière adéquate ce qui est absolument immatériel ; aussi les systèmes modernes, qui affectent de comprendre clairement les choses transcendantes, ne valent en réalité pas mieux que le système de Platon.

49 [page 73]. Nous empruntons nos preuves à un opuscule récemment publié et qui n’avait pas été rédigé à cet effet[2]. Dans ce petit livre, écrit avec conscience et talent, se trouve brillamment confirmée l’opinion que nous nous étions formée : ce sera précisément l’école néo aristotélicienne, fondée par Trendelenburg, qui contribuera le plus à nous délivrer définitivement d’Aristote. Chez Eucken, la philosophie n’est plus qu’une interprétation d’Aristote, laquelle devient savante et objective. Nulle part on ne trouve les inconvénients de la méthode d’Aristote exposés avec plus de netteté et de concision que chez Eucken, et quand, malgré cela, cet écrivain prétend que les qualités du philosophe grec l’emportent sur ses défauts, tout lecteur attentif comprendra le peu de solidité de son argumentation. L’auteur attribue le peu de succès d’Aristote en fait de découvertes sur le terrain des sciences de la nature presque exclusivement au manque d’instruments propres à perfectionner la perception sensorielle, tandis qu’il est historiquement constaté qu’en faisant de rapides progrès dans les mêmes sciences, les modernes n’étaient pas mieux outillés que les anciens ; s’ils disposent aujourd’hui d’instruments d’une grande puissance, c’est qu’ils ont su les créer. Copernic n’avait pas de télescope lorsqu’il osa rompre avec l’autorité d’Aristote. C’était la un pas décisif et l’on en fit autant sur le terrain de toutes les autres sciences.

  1. Philos. d. Griechen., 2e éd., II. p. 361 et suiv.
  2. Eucken, Die Methode der aristotelischen Forschung in ihrem Zusammenhang mit den philosophischen Grundprincipien des Aristoteles.