Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/104

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le préjugé, d’après lequel il existerait une pensée insensible, tout à fait pure, tout à fait abstraite ; malheureusement ce préjugé existe aussi chez la grande majorité des physiologistes et des philosophes. Or son système s’en accommode moins que tout autre. Nos pensées les plus importantes se réalisent précisément dans un matériel de sensation très-subtil, — presque imperceptible pour celui qui s’étudie lui-même avec négligence, — tandis que les sensations les plus fortes n’ont souvent qu’une valeur secondaire eu égard à notre personne morale et offrent une valeur logique encore moindre. Maisil n’existe guère de sensation qui n’implique en elle-même déjà un rapport avec d’autres sensations de la même classe. Quand j’entends le son d’une cloche, ma sensation, dès sa naissance immédiate, est déterminée par ma notion de la cloche. Voilà précisément pourquoi un son tout à fait étrange nous émeut d’une façon si insolite. Le général est dans le particulier, la logique dans la physiologie, comme la matière dans la forme. Ce que Feuerbach scinde métaphysiquement ne doit être séparé que logiquement. Il n’existe pas de pensée qui ait le général pour seul contenu. D’autre part, il n’y a pas de sensation qui ne contienne en soi quelque généralité. Le sensible isolé, tel que Feuerbach le conçoit, ne se rencontre pas effectivement, et ne peut par conséquent être l’unique réalité.

Nous avons toujours regardé comme étrange l’objection souvent faite à Feuerbach par des adversaires intelligents qui prétendaient que, sous le rapport de la morale, son système devait nécessairement aboutir à l’égoïsme pur. C’était plutôt le contraire qu’il fallait lui reprocher : Feuerbach reconnaissait expressément la morale de l’égoïsme théorique, tandis que la logique devait conduire l’ensemble de son système à un résultat diamétralement opposé. Quiconque va jusqu’à déduire de l’amour le concept de l’être ne peut aucunement conserver la morale du Système de la nature. Le véritable principe de la morale de Feuerbach, que sans