Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/15

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choses sensibles. Mais Kant prenait envers le matérialisme une attitude bien différente de celle de Platon : ainsi le philosophe de Kœnigsberg loue formellement Épicure de n’avoir jamais, dans ses conclusions, outrepassé les limites de l’expérience, tandis que Locke, par exemple, « après avoir déduit de l’expérience toutes les idées et tous les principes, va jusqu’à prétendre qu’on peut, au moyen de cette même expérience, prouver l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme avec autant d’évidence que n’importe quel théorème de mathématique, bien que ces deux questions soient placées complètement hors des limites de toute expérience possible (4). »

D’un autre côté, Kant ne différait pas moins nettement des philosophes, qui se contentent de prouver que le monde des phénomènes est un produit de notre pensée. Protagoras se mit à l’aise dans ce monde des phénomènes. Il renonça entièrement à l’idée de parvenir à une vérité absolue et fonda tout son système sur la thèse que, pour l’homme, est vrai ce qui lui paraît vrai, et bon ce qui lui paraît bon. Berkeley, en combattant l’existence du monde des phénomènes, voulait ranimer la foi oppressée ; et sa philosophie cesse là où son véritable but apparaît. Les sceptiques enfin se contentent de détruire la vérité de toute apparence, et doutent non-seulement du monde des idées et du monde des phénomènes, mais encore de la validité absolue des lois de notre pensée. Or ce fut précisément un sceptique qui jeta, par une violente secousse, notre Kant hors des voies de la philosophie des universités allemandes, et le lança dans une direction où, après des années de méditation et de travail, il atteignit le but qu’il annonçait, dans son immortelle Critique de la raison pure. Si nous voulons saisir nettement la pensée fondamentale de Kant, sans analyser l’ensemble de son système, il nous faudra d’abord parler de David Hume.

Hume mérite d’être élevé au niveau des penseurs éminents de l’Angleterre, tels que Bacon, Hobbes et Locke ; on peut