Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/187

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plus qu’aux effets strictement déterminés d’un remède ou d’un poison quelconque, effets solidement établis par les recherches modernes les plus consciencieuses des sciences positives. Ignorant l’histoire de la science, on fut amené, il y a une quarantaine ou une cinquantaine d’années, à regarder comme définitivement démontrés les « éléments » principaux de la chimie moderne, tandis qu’aujourd’hui nous nous convainquons de plus en plus que non-seulement il faut trouver de nouveaux éléments et peut-être décomposer quelques-uns des anciens ; mais encore l’idée générale d’élément n’est guère qu’un terme provisoire employé pour les besoins actuels.

Beaucoup de chimistes commencent encore à Lavoisier l’histoire de leur science. De même que dans les ouvrages historiques destinés aux enfants, t’exposé de la sombre période du moyen âge se termine souvent par ces mots : « Alors parut Luther », — de même ces chimistes parlent de l’avènement de Lavoisier qui vint dissiper la superstition du phlogistique ; après la disparition de ce fantôme, la science, disent-ils, naît spontanément du sens commun. Naturellement ! Il faut envisager la chose comme nous l’envisageons ! Un homme raisonnable ne saurait agir autrement ; il y a longtemps que l’on serait entré dans la bonne voie, — sans ce maudit phlogistique ! Comment se fait-il que le vieux Stahl ait pu être aussi aveugle !

Mais celui qui voit dans l’histoire l’indissoluble mélange d’erreur et de vérité ; celui qui comprend que, pour s’approcher de plus en plus du but infiniment éloigné, à savoir la connaissance parfaite, il faut franchir d’innombrables degrés intermédiaires ; celui qui voit comment l’erreur même devient un agent de progrès varié et durable, celui-là ne conclura pas aisément, d’après l’incontestable progrès du présent, à la valeur définitive de nos hypothèses. Celui qui a vu que le progrès ne résulte pas de ce qu’une théorie erronée se dissipe subitement comme un brouillard devant les regards