Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/280

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milliers ; c’est une exception, et cette exception constitue la nature, dont le téléologie myope admire la conservation comme l’œuvre de la finalité. « Nous voyons, dit Darwin, la face de la nature resplendissante de sérénité ; nous voyons souvent surabondance de nourriture ; mais nous ne voyons pas ou nous oublions que les oiseaux qui, autour de nous, chantent si insoucieux, vivent habituellement d’insectes ou de semences et détruisent ainsi constamment la vie nous oublions jusqu’à quel point ces chanteurs, leurs œufs ou leurs petits sont dévorés par des oiseaux de proie ou d’autres animaux ; nous ne songeons pas que la pâture, qui surabonde à cette heure, fait défaut à d’autres époques de chaque année qui revient. » La rivalité pour une motte de terre, le succès ou l’insuccès dans la poursuite et l’anéantissement de la vie d’autrui déterminent l’extension des plantes et des animaux de toute espèce. Des millions d’animalcules spermatiques, d’œufs, de jeunes créatures flottent entre la vie et la mort, pour que quelques individus puissent se développer. La raison humaine ne connaît pas d’autre idéal que la meilleure conservation, le meilleur perfectionnement possible de la vie une fois commencée, jointe à la diminution des naissances et des morts. Pour la nature, la production exubérante et la destruction douloureuse ne sont que deux forces agissant en sens contraires et cherchant à s’équilibrer. — L’économie politique n’a-t-elle pas révélé, même pour le monde « civilisé », la triste loi d’après laquelle la misère et la disette sont les grandes régulatrices de l’accroissement de la population ? Même sur le terrain intellectuel, la méthode de la nature paraît être de livrer au dépérissement et au désespoir des milliers d’esprits également doués, également ambitieux, pour former un seul génie, qui doit son épanouissement à un concours de circonstances favorables. La compassion, la plus belle fleur des organismes terrestres, ne parvient à éclore que sur des points isolés et, même pour la vie de l’huma-