Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/46

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voir quels éléments a priori s’y rencontrent. Il admet donc deux sources principales de la connaissance humaine : les sens et l’entendement. Son regard perçant croit voir que toutes deux proviennent peut-être d’une origine commune, qui nous est inconnue. Aujourd’hui l’on peut regarder cette conjecture comme justinée non par la psychologie de Herbart ni par la phénoménologie de l’esprit de Hegel, mais par certaines expériences de la physiologie des organes des sens, qui prouvent invinciblement que, même aux impressions des sens qui paraissent tout à fait immédiates, participent des faits qui, si l’on écarte ou supplée certains intermédiaires logiques, répondent étonnamment aux conclusions, vraies ou fausses, de la pensée consciente.

Kant n’a pas su utiliser, dans sa Critique de la raison pure, l’idée que la sensibilité et l’entendement proviennent peut-être d’une racine commune, bien que cependant il ne pût éviter la question de savoir si la véritable solution du problème transcendantal ne devait pas être cherchée précisément dans l’unité de la sensibilité et de la pensée. Il enseigne sans doute aussi que les deux éléments doivent concourir à la connaissance ; mais, même dans le mode, suivant lequel il se figure ce concours, se trahit encore l’influence notable de cette théorie platonicienne d’une pensée pure, dégagée complètement des sens, qui se conserva à travers toute la métaphysique traditionnelle et trouva finalement chez Leibnitz une expression dont tout son système est imprégné et qui domine les conceptions de l’école de Wolff. D’après Leibnitz, la pensée rationnelle peut seule concevoir les choses d’une manière nette et conforme à leur essence ; quant à la connaissance obtenue à l’aide des sens, elle n’est pas une nouvelle source de connaissance égale à la première, mais quelque chose d’absolument inférieur ; c’est une connaissance confuse, par conséquent une image trouble et obscure de la notion que la pensée pure produit avec une perfection souveraine. — Ce que Kant établit, en vrai réformateur, contrairement à cette