Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/479

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Épicure, comme Diogène, cherchait le bonheur dans l’exemption des besoins, avec cette différence toutefois que le premier avait en vue le bonheur, et le second, l’absence des besoins. De nos jours, il est vrai, grâce à une connaissance plus exacte de la vie du peuple et notamment à la statistique des cas de décès, maladies, etc., se trouve heureusement réfuté l’ancien conte du pauvre satisfait et bien portant et du riche toujours maladif et hypocondre. On mesure la valeur des biens terrestres sur l’échelle des tables de mortalité, et l’on trouve que même les soucis des têtes couronnées ne produisent pas des effets aussi pernicieux sur la santé que la faim, le froid et les logements mal aérés. D’un autre côté, les sciences ont fait assez de progrès pour permettre de conclure, d’après la vraisemblance, que la thèse matérialiste a tort. L’histoire de la civilisation nous apprend qu’à l’époque où les princesses dormaient dans des niches murées, faisaient de grands voyages à cheval et déjeunaient avec du lard, du pain et de la bière, la félicité de ces personnes ne paraissait pas moindre aux contemporains qu’elle ne le paraît aujourd’hui, que les princesses traversent l’Europe dans de magnifiques wagons-salons et disposent, à chaque station, des produits de toutes les zones. Les analogies de la psychophysique nous rendent très-vraisemblable que la sensation du bonheur personnel est relative, comme les sensations des sens c’est la différence qui est perçue ; on sent l’augmentation et on l’apprécie avec la masse des biens déjà acquis (3). En réalité, aucune personne sensée ne croira que la composition physique de riches dentelles de Bruxelles puisse contribuer à la satisfaction de la femme qui en sera parée plus que tout autre ornement disposé avec goût et agréable à l’œil, d’une valeur comparativement minime. Et cependant la possession de ces dentelles peut devenir un « besoin » l’impossibilité de se les procurer peut exciter le plus vif dépit ; leur perte subite peut faire verser bien des larmes. Il est clair qu’ici la comparaison, la lutte pour