Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/49

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parties, qui provoquent chacune une sensation, est toujours plus longue pour la conscience immédiate qu’une ligne mathématiquement égale en longueur qui n’offre pas de centres particuliers d’action pour l’excitation des sensations. Nos représentations ordinaires de l’espace sont absolument non-mathématiques et constituent une source intarissable de subtiles illusions, précisément parce que nos sensations ne trouvent pas dans l’esprit un système de coordination tout prêt, d’après lequel elles pourraient se classer avec sûreté, mais parce qu’un semblable système, très-imparfait, ne se développe d’une manière inconnue que par l’effet de la concurrence naturelle des sensations.

Avec tout cela, la pensée que l’espace et le temps sont des formes, que l’esprit humain prête aux objets de l’expérience, n’est nullement faite pour être rejetée d’emblée. Cette pensée est tout aussi hardie et grandiose que l’hypothèse d’après laquelle tous les phénomènes d’un monde corporel imaginaire avec l’espace où ils se coordonnent, sont uniquement des représentations d’un être purement intellectuel. Mais tandis que cet idéalisme matériel conduit toujours à des spéculations dénuées de fondement, Kant, avec son idéalisme formel, nous fait jeter un regard dans les abîmes de la métaphysique, sans rompre avec les sciences d’expérience. Car, d’après Kant, ces formes de notre connaissance, existant avant l’expérience, ne peuvent qu’à l’aide de l’expérience nous donner la connaissance, tandis qu’au-delà de la sphère de notre expérience, elles perdent toute valeur. La théorie des « idées innées » n’est nulle part réfutée plus complètement qu’ici ; car, tandis que, d’après l’ancienne métaphysique, les « idées innées » sont, pour ainsi dire, des témoins venus d’un monde suprasensible, et qu’elles sont propres ou plutôt expressément destinées à être appliquées au suprasensible, les éléments a priori de la connaissance servent, d’après Kant, exclusivement à l’expérience. Ce sont ces éléments qui déterminent toute notre expérience ; c’est par eux que nous re-