Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/490

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champ que la sympathie peut entraîner à des folies aussi bien que l’égoïsme, et que la considération des intérêts de la grande majorité fera toujours éviter beaucoup d’actes auxquels on se laisserait entraîner par dévouement pour un groupe moins considérable ou pour telle ou telle personne. On pourra, il est vrai, objecter que cette considération des intérêts du grand tout n’est pas de l’égoïsme, mais le contraire cependant cette objection à son tour est facile à réfuter.

En effet, si la théorie de l’harmonie des intérêts distincts est exacte ; s’il est incontestable que le meilleur résultat pour l’ensemble de l’humanité s’obtient quand chacun peut librement veiller à ses propres intérêts, il est nécessairement vrai aussi que le système le plus avantageux est celui où chacun poursuit ses intérêts personnels sans perdre de temps à des réflexions inutiles. L’égoïste naïf se trouve dans un état d’innocence et agit bien sans en avoir conscience ; la sympathie est le péché originel ; et quiconque est forcé de penser d’abord au mécanisme du grand tout pour arriver à la même vertu qu’un spéculateur ignorant pratique avec simplicité, ne peut que revenir, par un détour, nécessairement suivi par la nature humaine, au point de départ de l’enfance de l’humanité. Dans cette voie, l’égoïsme peut s’être purifié, adouci, éclairé ; il peut avoir appris des moyens plus exacts de soigner ses intérêts ; mais son principe, son essence seront de nouveau tels qu’ils étaient à l’origine.

Demander si la dogmatique de l’égoïsme enseigne la vérité, si l’économie politique est dans la bonne voie quand elle prêche exclusivement le libre échange, c’est demander si l’idée de l’harmonie naturelle des intérêts est une chimère ou non ; car les théoriciens extrêmes du libre échange n’ont pas hésité à fonder leur doctrine sur le principe suprême du laisser faire. Or, ce principe, ils ne l’ont pas seulement posé comme une maxime de la défense indispensable contre un mauvais gouvernement, ils en ont encore fait la consé-