Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quent, ils ne peuvent avoir de valeur au-delà de leur fonction. En revanche, rien ne nous empêche, quand nous voulons mettre le pied sur ce terrain dangereux, de conjecturer que leur portée s’étend plus loin que la sphère de nos représentations (28). Kant lui-même émet accidentellement l’hypothèse que « tous les êtres finis et pensants doivent en cela, c’est-à-dire (dans le mode d’intuition d’après l’espace et le temps) nécessairement (c’est-à-dire d’après un principe général qui nous est inconnu) s’accorder avec l’homme » (29). En d’autres termes, il peut se faire que toute connaissance d’objets soit nécessairement pareille à la nôtre, à la seule exception toutefois du mode possible mais purement problématique de la connaissance divine. D’un autre côté, on peut aussi accorder qu’il nous est possible, par exemple, d’imaginer des êtres, qui, en vertu de leur organisation, ne sont nullement en état de mesurer l’espace d’après les trois dimensions, qui ne le comprennent peut-être que d’après deux dimensions, peut-être même pas du tout d’après des dimensions distinctes. Et pour la même raison, on ne pourra non plus nier la possibilité d’une conception des choses fondées sur des notions d’espace plus parfaites que ne le sont les nôtres.

Si d’ailleurs il devait être vrai que toutes les choses de l’univers agissent et réagissent tour à tour les unes sur les autres et que la connexion universelle est soumise à des lois immuables, l’expression poétique de Schiller « et dans l’aujourd’hui marche déjà le demain » serait une vérité métaphysique dans la plus rigoureuse acception du mot ; et il faudrait encore imaginer des intelligences capables d’embrasser simultanément ce que nous ne saisissons que successivement. Il est certes incontestable que nous ne pouvons rien savoir de tout cela, et que la saine philosophie ne s’occupera de semblables questions que lorsqu’il s’agira de réfuter le dogme de l’objectivité absolue de nos idées d’espace, par l’exposé des possibilités contraires. Au reste, Kant est justifié en tant que le principe de l’intuition de l’espace et du temps