Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/546

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déduire non-seulement le principe de l’égoïsme mais encore son puissant contre-poids, la sympathie. Les deux principes peuvent, sans aucune influence d’idées transcendantes ou d’hypothèses superstitieuses, être déduits simplement de la nature sensorielle de l’homme, et celui qui leur rend hommage peut, avec cela, être matérialiste dans toute l’acception du mot. Quant au principe de morale de Kant, il faudrait au moins le faire descendre de la hauteur de son importance apriorique et le fonder sur la psychologie pure, si l’on veut le concilier avec le matérialisme. Par contre, nul penseur, s’il est convaincu de l’apriorité de cette loi morale, ne s’arrêtera au matérialisme théorique. La question de l’origine de la loi morale le conduit sans cesse au-delà des limites de l’expérience, et il lui sera impossible de regarder comme complète et absolument exacte une conception du monde qui ne repose que sur l’expérience.

D’ailleurs la sympathie n’est pas pour le matérialiste ce qu’elle est pour l’idéaliste. Büchner fait remarquer quelque part que la compassion n’est au fond qu’un « égoïsme raffiné », et cette définition peut bien réellement être admise du moins par le système matérialiste du même auteur (22). D’après ce système la sympathie commence naturellement dans les cercles les plus étroits où l’intérêt commun se rencontre, par exemple dans la famille ; elle peut se concilier avec le plus dur égoïsme contre tout ce qui est placé en dehors de ce cercle. L’idéaliste au contraire arrive d’un bond à l’intérêt général. Le lien qui l’attache à un ami, n’est pour lui qu’un anneau d’une chaîne infinie, embrassant tous les êtres, « depuis le Mongol, comme dit Schiller, jusqu’au voyant grec, qui se range près du dernier séraphin ». Les sensations naturelles, qui s’éveillent dans des cercles plus étroits, sont immédiatement ramenées à une cause générale et reliées à une idée qui revendique une valeur absolue. L’image d’une perfection idéale naît dans le cœur, et la contemplation de cet idéal devient une étoile d’après laquelle se règlent tous