Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/618

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pourra guère savoir jusqu’à quel point on a devant soi une opposition consciente au système de Kant ou simplement une autre manière de s’exprimer. Sous un certain point de vue, la géométrie analytique ordinaire s’affranchit déjà de l’intuition, c’est-à-dire qu’elle remplace l’intuition géométrique par l’intuition, bien plus simple de rapports de grandeurs arithmétiques et algébriques. Dans ces derniers temps toutefois on est allé plus loin et les limites entre les hypothèses simplement techno-mathématiques et les affirmations philosophiques paraissent dépassées de plusieurs façons, sans que l’on soit arrivé jusqu’ici à une élucidation complète du point en question. C’est ainsi que notamment Hankel, dans l’ouvrage cité note 17, a revendiqué nettement, et, à plusieurs reprises, pour sa « théorie générale des formes » la propriété de représenter une mathématique purement intellectuelle, dégagée de toute intuition, « où ne sont pas reliées entre elles les quantités ou leurs images, les nombres, mais des objets intellectuels, des choses qui n’existent que dans la pensée et auxquels peuvent, mais ne doivent pas nécessairement correspondre des objets réels ou leurs relations. » Les relations générales et formelles, qui font l’objet de cette mathématique, il les appelle aussi « transcendantales » ou « potentielles » en tant qu’elles impliquent la possibilité de relations réelles[1]. Hankel proteste (p. 12) expressément contre l’opinion de ceux qui ne voient dans cette mathématique purement formelle qu’une généralisation de l’arithmétique ordinaire ; c’est, dit-il, « une science tout à fait nouvelle » dont les règles « ne trouvent pas des démonstrations, mais seulement des exemples » dans cette même arithmétique. Cependant ces « exemples » sont une démonstration intuitive de la base synthétique de cette nouvelle science, qui peut ensuite pratiquer sur ses objets intellectuels la méthode déductive, absolument comme fait l’algèbre avec des signes numériques généraux et l’arithmétique avec des nombres réels. Par le fait on n’a qu’à examiner plus attentivement chez Hankel comme chez Gassmann, le véritable inventeur de cette théorie générale des formes[2], une quelconque des idées générales, à l’aide desquelles ils opèrent, pour que le facteur de l’intuition devienne visible et palpable. Comment pouvons-nous par exemple savoir que des mots tels que « raccordement », « substitution », etc. signifient quelque chose, si nous ne recourons pas à l’intuition d’objets raccordés ou substitués, et même ne fût-ce qu’à des lettres a b et bb a ? — Il se

  1. Vorlesungen über die complexen Zahlen, I, p. 9 et suiv.
  2. Voir sa Lineale Ausdehnungslehre, Leipzig 1844, traitée d’une manière tout à fait philosophique et sa Ausdehnungslehre, plus détaillée et rédigée plus strictement sous la forme mathématique,