Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/671

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qui le sépareraient de toute la série animale. Il affirme précisément que le cerveau du sauvage est de beaucoup supérieur aux véritables nécessités de sa situation, ce qui rendrait complètement incompréhensible la formation d’un pareil cerveau par la lutte pour l’existence et par la sélection naturelle[1]. Toutefois, d’un côté, Wallace met le sauvage beaucoup trop bas relativement à l’animal ; d’un autre côté, il se fait une idée inexacte de la nature du cerveau. Le cerveau ne sert pas, comme on pouvait le croire autrefois, uniquement aux fonctions supérieures de l’intellect ; c’est un appareil de coordination pour les mouvements les plus divers. Que l’on se figure seulement quelle masse de centres de coordination et de voies de communication réclament déjà le langage seul et l’association des sons du langage avec les sensations les plus différentes ! Une fois donné cet appareil si compliqué, la différence entre les plus hautes fonctions de la pensée du philosophe ou du poète avec la pensée du sauvage peut reposer sur des différences très-fines qui, en partie, ne pourront jamais être constatées dans le cerveau, parce qu’elles sont d’une nature plutôt fonctionnelle que substantielle[2]. Comment, d’ailleurs, expliquer, — sans parler ici du sauvage et de l’homme primitif, — la structure du cerveau égale, pour les traits grossiers et fondamentaux, chez le paysan pauvre et inculte et chez son fils plein de talent et d’une haute culture scientifique ? Il est fort douteux que la grande masse des hommes civilisés exerce des fonctions intellectuelles beaucoup plus compliquées que les sauvages. Ceux qui n’inventent rien, ne perfectionnent rien et, bornés à leur métiers, nagent par imitation sur le grand fleuve de la vie, n’apprennent à connaître qu’une faible partie du mécanisme varié de la civilisation actuelle. La locomotive et le télégraphe, la prédiction d’une éclipse de soleil dans le calendrier, l’existence de grandes bibliothèques renfermant des livres par centaines de mille leur paraissent des choses toutes naturelles qui ne provoquent pas chez eux de plus amples réflexions. Puis la division du travail étant très-rigoureuse, même dans les plus hautes positions sociales, les fonctions d’un membre passif de la société actuelle sont-elles de beaucoup supérieures à celles d’un indigène de l’Australie ? C’est encore très-douteux, d’autant plus que les Australiens sont dépréciés non-seulement par Wallace, mais aussi généralement en Europe. L’Australische deutsche Zeitung, de Tamunda, reproduite par la Kölnische Zeitung, fait les réflexions suivantes sur la carte la plus récente du sud-est de l’Australie, publiée par Peter-

  1. La Sélection naturelle, Essais, par Alfred-Russel Wallace, trad. fr. par Lucien de Candolle. [N. d. t.]
  2. Voir plus haut le chapitre : Le cerveau et l’âme.