Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/85

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une révolution qui ébranla l’Europe et fut suivie du développement d’une puissance militaire formidable.

Ce furent deux évolutions nationales très-différentes et même opposées ; les deux « puissances occidentales » s’accordèrent pourtant sur un point : elles se préoccupèrent uniquement des problèmes de la vie réelle. À nous autres Allemands restait, pendant ce temps, la métaphysique.

Et néanmoins il y aurait de notre part ingratitude extrême à ne conserver qu’un souvenir dédaigneux ou même peu sympathique pour cette grande époque caractérisée par des efforts purement intellectuels. Il est vrai que, pareils au poëte de Schiller, nous sortîmes les mains vides, du partage du monde. Il est vrai que chez nous l’ivresse de l’idéalisme, — peut-être devons-nous dire même avec toutes ses funestes influences, — s’est maintenant dissipée, et que la vie idéale dans le ciel de Jupiter ne nous suffit plus. Plus tard que les autres nations, nous entrons dans l’âge viril ; mais aussi nous avons vécu une jeunesse plus belle, plus riche, peut-être même trop poétique ; et il faudra voir si notre peuple a été énervé par ces jouissances intellectuelles, ou s’il possède précisément dans son passé idéaliste une source intarissable de force et de vitalité, qui n’ait besoin que d’être dirigée dans les voies de créations nouvelles pour suffire à la solution des grands problèmes. Le seul fait pratique, qui se manifeste durant cette période d’idéalisme, le soulèvement populaire dans les guerres de délivrance (1813-1815) est empreint sans doute en partie du caractère de la rêverie, mais il décèle en même temps une puissante énergie, qui n’a encore qu’une vague intuition de son but.

Chose remarquable, notre développement national, plus régulier que celui de l’antique Hellade, partit du point de vue le plus idéal pour se rapprocher progressivement de la réalité. Et d’abord la poésie, pendant la grande et brillante période des créations parallèles d’un Gœthe et d’un Schiller, avait déjà atteint son apogée, lorsque la philosophie, mise