Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/87

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tions positives. On peut toutefois regarder l’ensemble du système de Kant comme une tentative grandiose pour supprimer à jamais le matérialisme, sans pourtant tomber dans le scepticisme.

Si l’on étudie le succès apparent de cette tentative, on verra un avantage significatif dans le fait que, depuis l’avènement de Kant jusqu’à nos jours, le matérialisme disparut en Allemagne comme s’il eût été emporté par un souffle. Les essais individuels, tendant à expliquer zoologiquement l’origine de l’homme, par le développement d’une forme animale, essais, parmi lesquels celui d’Oken (1819) produisit la plus vive sensation, n’appartiennent point à la série des idées réellement matérialistes. Bien au contraire, Schelling et Hegel firent du panthéisme la théorie dominante dans la philosophie de la nature ; or le panthéisme est une conception du monde, qui, à côté d’une certaine profondeur mystique, renferme déjà presque en principe le danger des rêveries excessives. Au lieu de séparer nettement l’expérience et le monde des sens d’avec l’idéal, et de chercher ensuite dans la nature de l’homme la conciliation de ces deux mondes divers, le panthéiste identifie l’esprit et la nature au nom de la raison poétique et sans tenir compte de la critique. De là donc la prétention de connaître l’absolu, prétention que Kant par sa critique croyait avoir bannie pour toujours. Sans doute Kant savait très-bien, et il le prédisait nettement, que sa philosophie ne pouvait pas s’attendre à une victoire instantanée, des siècles s’étant passés avant que Copernic et sa théorie eussent triomphé du préjugé hostile. Mais ce penseur aussi judicieux que profond eût-il pu se figurer que, vingt-cinq ans à peine après l’apparition de sa critique, l’Allemagne verrait se produire une œuvre pareille à la phénoménologie de l’esprit, de Hegel ? Et cependant c’est aussitôt après lui que se déchaîna notre période de tempête et de détresse métaphysiques. L’homme, que Schiller comparait à un roi qui fait bâtir, non-seulement fournit des