Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/93

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et la méthode passent de main en main, tandis que le fonds des idées philosophiques se modifie sans cesse, quand toutefois il existe. Le public s’en tient au facteur relativement constant et adopte comme seules légitimes les idées utiles et pratiques qu’il rencontre les premières. De cette manière doit nécessairement, tant que la philosophie n’est pas à même de faire prévaloir son contre-poids dans toutes les classes éclairées, naître un matérialisme toujours nouveau de l’étude des sciences spéciales, matérialisme peut-être d’autant plus tenace que ses adeptes en ont moins conscience comme système philosophique de l’univers. Mais, pour la même raison, ce matérialisme ne dépasse guère les limites des études spéciales. Il faut qu’il existe des causes plus profondes, déterminant tout à coup l’homme versé dans la connaissance de la nature à mettre en évidence les principes de sa conception du monde ; et ce processus est inséparable de la méditation et de la coordination des pensées sous un point de vue unitaire, dont la nature philosophique est incontestable.

Si une évolution de ce genre se manifesta en Allemagne, alors qu’en Angleterre et en France le matérialisme n’entrait plus dans la lice comme un champion déclaré, cela provint sans doute de ce que les Allemands, plus que tout autre peuple, s’étaient habitués aux luttes philosophiques. On peut dire que l’idéalisme lui-même favorisa les progrès du matérialisme, en faisant naître le désir de développer systématiquement les pensées directrices de l’évolution scientifique et en provoquant par le contraste l’élan juvénile des sciences de la nature. Ajoutez qu’en Allemagne, plus que dans tout autre pays, on s’était généralement affranchi des préjugés religieux et des prétentions ecclésiastiques on avait en quelque sorte érigé, pour tous les hommes instruits, en droit nécessaire et indispensable, la liberté de la pensée individuelle. Ici encore l’idéalisme avait frayé les voies, dans lesquelles plus tard le matéria-