Page:Langlois - Harivansa ou histoire de la famille de Hari, tome 1.djvu/144

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Quand ce prince, semblable à un dieu, fut parti pour le ciel[1], ses enfants vinrent demander à Indra sa succession : ils étaient cinq cents, qui envahirent de tous côtés le Swarga[2], demeure de cette divinité qu’ils dépouillaient. Un long temps s’était déjà écoulé, quand le puissant Indra, ainsi privé de son royaume et de ses honneurs, dit à Vrihaspati[3] : « Saint Brahmarchi, daignez au moins m’accorder une offrande[4] de fruits du badarî[5], pour que je puisse reprendre et soutenir mes forces : faible, éperdu, privé de ma royauté, de mon ancienne splendeur, de ma nourriture même, je suis, par les fils de Radji, réduit à la dernière extrémité, et l’excès de la misère m’a presque ôté la raison. »

« Ô Sacra[6], lui répondit Vrihaspati, si tu m’avais plus tôt appelé à ton secours, mon amitié pour toi ne serait pas restée oisive. Roi des dieux, compte sur les efforts que je vais faire pour te servir : avant peu tu auras recouvré tes honneurs et ton royaume. Oui, je vais agir pour toi ; que ton âme ne soit point abattue. »

C’est alors que Vrihaspati conçut et exécuta un projet qui devait rendre à Indra toute sa splendeur, en privant ses spoliateurs de leur raison. Il fit un livre[7] où l’athéisme était enseigné, où l’on conseillait la haine des devoirs sacrés, où par une suite de récits et de raisonnements on engageait les hommes à s’attacher plutôt aux doctrines des livres impies qu’aux enseignements d’une religion divine. Les enfants de Radji écoutèrent la lecture de ce livre : faibles de raison, ils conçurent du mépris pour les livres jus-

  1. C’est-à-dire, quand il fut mort.
  2. Le Swarga est le paradis, royaume du dieu Indra. On le place vers l’est : mais il semble quelquefois que ce n’est qu’un royaume allégorique, et que l’on désigne par ce mot la part d’honneurs et d’autorité accordée à une espèce de roi des sacrifices. Indra est un chef spirituel, dont quelques princes temporels usurpèrent les prérogatives.
  3. Le mot employé ici est पुरोडाश​ pourodâsa.
  4. Maître spirituel des dieux. C’est lui qui, dans leurs palais, leur explique les Vèdes et accomplit les rites religieux.
  5. Zizyphus jujuba ou scandens.
  6. Nom du dieu Indra.
  7. Ce moyen de séduction est employé souvent dans les livres indiens : c’est ainsi qu’on explique l’origine des sectes. Le Bouddhisme lui-même, suivant les légendes brahmaniques, a été prêché par Vichnou pour faire perdre à des Dêtyas vertueux le fruit de leurs bonnes œuvres. Il est aisé de reconnaître ici l’histoire d’une famille qui, parvenue au pouvoir spirituel, quitta les principes orthodoxes, et se trouva bientôt déchue du rang qu’elle avait usurpé. Voyez Rech. asiat. t. xvi, p. 5, où un Vrihaspati est le chef d’une secte d’athées.