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INDE. — INTRODUCTION.

les disposant suivant les besoins du culte. C’est donc à ce dernier qu’il nous faut principalement demander le secret de l’antique civilisation indienne.

Les hymnes du Rig-Véda sont les cantiques des Aryas, les vaillants, les nobles, les honorables, d’où descend la race indo-européenne tout entière. On les chantait à l’aurore, à midi, et au soir, en plein air, sous la voûte du ciel. Pas de temple, pas de sanctuaire ; une enceinte pure et simple, au milieu de laquelle était disposé un tertre comme autel, dont chaque face répondait à un des points cardinaux ; un banc de gazon pour les dieux ou pour les mânes évoqués ; un foyer pour le sacrifice ; le beurre, le lait, une liqueur fortifiante, pour offrandes, le père pour pontife, la mère pour officiante, les enfants pour fidèles : culte naïf et primitif, que rien encore ne complique, ne trouble, et qui semble le même pour l’Arya du Pendjab, et pour l’Arya de l’Irân, pour le pâtre et pour l’agriculteur.

Les chants védiques expriment à leur origine une confiance naïve, un optimisme naturel, un sentiment de vérité, qui peu à peu s’altérèrent sous l’influence sacerdotale. Avant que les brahmanes eussent formé une caste dominatrice, eussent conquis une puissance absolue, la sincérité des cœurs, comme partout, avait pressenti l’unité de Dieu. Plus tard une philosophie théologique embrouilla fatalement ces premières idées naturelles et pures ; et, l’élan des âmes étant remplacé par une liturgie minutieuse et glacée, le monothéisme primitif fut englouti dans un panthéisme sans limites. Il y a donc évidemment, dans les Védas, des inspirations de différents âges, des prières de différents cultes, toute une tradition idéale qui peut mettre sur la trace des révolutions théologiques. Peut-être y aura-t-il un jour une sorte de révélation historique sur les Hindous qui surgira de l’étude de leurs Védas. Jusqu’à présent, malgré les milliers de commentaires dont leur texte a été entouré, on ne peut qu’y entrevoir une lente conquête des Aryas sur les Dasyous, indigènes d’une autre race, refoulés vers le midi de l’Inde ; quelques convulsions intérieures, quelques rivalités locales, et cette sourde domination brahmanique, qui s’infiltre peu à peu dans les âmes, qui se substitue à l’autorité patriarcale, qui combat et domine plus tard l’autorité royale, et aboutit enfin à l’établissement des castes. On ne peut donc qu’en déduire trois inspirations, trois manières, et pour ainsi dire, trois philosophies.

La première de ces inspirations, celle des Aryas primitifs, originale dans sa forme, unitaire dans sa théogonie, simple dans ses vœux, la plus ancienne, la plus pure, ne s’adresse qu’aux phénomènes les plus sensibles de la nature : le feu, l’éther, le soleil ; la seconde, plus raisonneuse, plus recherchée, spécifie les attributs de la puissance providentielle, multiple le nombre des phénomènes qu’elle croit représenter les forces divines, et s’achemine ainsi vers le polythéisme ; la troisième, obscure à force d’explications, inintelligible à force d’abstractions, s’enfonce de symboles en symboles dans le vide d’un panthéisme insondable. C’en est fait, le brahmane dominateur peut venir, les âmes vacillantes tomberont fatalement sous son