Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/156

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L’historien doit a priori se défier de toute affirmation d’un auteur, car il ignore si elle n’est pas mensongère ou erronée. Elle ne peut être pour lui qu’une présomption. La prendre à son compte et la répéter en son nom, c’est déclarer implicitement qu’il la considère comme une vérité scientifique. Ce pas décisif, il n’a le droit de le faire que pour de bonnes raisons. Mais l’esprit humain est ainsi construit qu’on fait ce pas sans s’en apercevoir (cf. liv. II, ch. i). — Contre cette tendance dangereuse le critique n’a qu’un procédé de défense. Il doit ne pas attendre pour douter d’y être forcé par une contradiction entre les affirmations des documents, il doit commencer par douter. Il doit n’oublier jamais la distance entre l’affirmation d’un auteur, quel qu’il soit, et une vérité scientifiquement établie, de façon à garder toujours pleine conscience de la responsabilité qu’il prend lorsqu’il reproduit une affirmation.

Même après s’être décidé en principe à pratiquer cette défiance contre nature, on tend instinctivement à s’en délivrer le plus vite possible. Le mouvement naturel est de faire en bloc la critique de tout un auteur ou au moins de tout un document, de classer en deux catégories, à droite les brebis, à gauche les boucs ; d’un côté les auteurs dignes de foi ou les bons documents, de l’autre les auteurs suspects ou les mauvais documents. Après quoi, ayant épuisé toute sa force de défiance, on reproduit sans discussion toutes les affirmations du « bon document ». On consent à se défier de Suidas ou d’Aimoin, auteurs suspects, mais on affirme comme vérité établie tout ce qu’a dit Thucydide ou Grégoire de Tours[1]. On applique aux auteurs la

  1. Fustel de Coulanges lui-même n’était pas affranchi de cette timidité. À propos d’un discours prêté à Clovis par Grégoire