Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/157

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procédure judiciaire qui classe les témoins en recevables et non recevables : dès qu’on a accepté un témoin on se sent engagé à admettre tous ses dires ; on n’ose douter d’une de ses affirmations que si l’on trouve des raisons spéciales d’en douter. Instinctivement on prend parti pour l’auteur qu’on a déclaré recommandable et on en vient, comme dans les tribunaux, à dire que « la charge de faire la preuve » incombe à celui qui récuse un témoignage valable[1].

La confusion est encore accrue par l’expression authentique empruntée à la langue judiciaire ; elle ne se rapporte qu’à la provenance, non au contenu ; dire qu’un document est authentique, c’est dire seulement

    de Tours, il dit : « Sans doute on ne peut affirmer que de telles paroles aient été réellement prononcées. Mais on ne doit pas non plus affirmer hardiment contre Grégoire de Tours qu’elles ne l’ont pas été… Le plus sage est d’accepter le texte de Grégoire. » Monarchie franque, p. 66. — Le plus sage, ou plutôt le seul parti scientifique est d’avouer qu’on ne sait rien des paroles de Clovis, car Grégoire lui-même ne les connaissait pas.

  1. Un des historiens de l’antiquité les plus experts en critique, Ed. Meyer, Die Entstehung des Judenthums, Halle, 1896, in-8, a récemment encore allégué cet étrange argument juridique en faveur des récits de Néhémie. — M. Bouché-Leclercq, dans une remarquable étude sur « Le règne de Séleucus II Callinicus et la critique historique » (Revue des Universités du Midi, avr.-juin 1897), semble, par réaction contre l’hypercritique de Niebuhr et de Droysen, incliner vers une théorie analogue. « Sous peine de tomber dans l’agnosticisme — qui est pour elle le suicide — ou dans la fantaisie individuelle, la critique historique doit accorder une certaine foi aux témoignages qu’elle ne peut pas contrôler, lorsqu’ils ne sont pas nettement contredits par d’autres de valeur égale. » M. Bouché-Leclercq a raison contre l’historien qui, « après avoir disqualifié tous ses témoins, prétend se substituer à eux et voit par leurs yeux tout autre chose que ce qu’ils ont vu eux-mêmes ». Mais quand les « témoignages » ne sont pas suffisants pour faire connaître scientifiquement un fait, la seule attitude correcte est « l’agnosticisme », c’est-à-dire l’aveu de notre ignorance ; nous n’avons pas le droit d’éluder cet aveu parce que le hasard aura laissé périr les documents en contradiction avec ces témoignages.