Page:Langlois - Seignobos - Introduction aux études historiques, 1899.djvu/286

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On peut dire en résumé que, jusque vers 1850, l’histoire est restée, pour les historiens et pour le public, un genre littéraire. Une preuve excellente en est que les historiens avaient alors l’habitude de rééditer leurs ouvrages, à plusieurs années de distance, sans y rien changer, et que le public tolérait cette pratique. Or toute œuvre scientifique doit être sans cesse refondue, revisée, mise au courant. Les savants proprement dits n’ont pas la prétention de donner à leurs œuvres une forme ne varietur ni d’être lus par la postérité ; ils ne prétendent pas à l’immortalité personnelle : il leur suffit que les résultats de leurs recherches, rectifiés ou même transformés par des recherches ultérieures, soient incorporés à l’ensemble des connaissances qui constituent le patrimoine scientifique de l’humanité. Personne ne lit Newton ou Lavoisier ; il suffit à la gloire de Newton et de Lavoisier que leur œuvre ait contribué à déterminer la masse énorme des travaux qui ont remplacé les leurs et qui, tôt ou tard, seront remplacés eux-mêmes. Il n’y a que les œuvres d’art dont la jeunesse soit éternelle. Et le public s’en rend bien compte : il ne viendrait à l’esprit de personne d’étudier l’histoire naturelle dans Buffon, quels que soient les mérites de ce styliste. Mais le même public étudie volontiers l’histoire dans Augustin Thierry, dans Macaulay, dans Carlyle et dans Michelet, et les livres des grands écrivains qui ont écrit sur des sujets historiques se réimpriment tels quels, cinquante ans après leur mort, quoiqu’ils ne soient plus, visiblement, au courant des connaissances acquises. Il est clair que, pour bien des gens la forme, en histoire, emporte le fond, et que l’œuvre historique est toujours, non exclusivement, mais surtout, une œuvre d’art[1].

  1. C’est un lieu commun, mais c’est aussi une erreur de dire,