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la littérature sous henri iv.

loppe ses ingénieuses mignardises, et en fond la sécheresse. C’est le commencement du style rococo : mais ce n’est autre chose que la fin du lyrisme. La prose de François de Sales, et celle encore du romancier d’Urfé, dont je définirai bientôt l’œuvre et l’influence, marquent à peu près le même moment que les vers de Montchrétien et de Bertaut.

Les tragédies de Montchrétien sont lotîtes pleines d’effusions charmantes ou passionnées : j’en parlerai quand j’exposerai les commencements du théâtre classique. Le « sage » Bertaut[1] se dit et se croit disciple de Ronsard et de Desportes : il n’a ni l’art et le génie de l’un, ni la sécheresse brillante de l’autre. Les pointes qui lui échappent ne changent pas le caractère de son œuvre : il a un naturel mou, qui parfois étale des grâces nonchalantes, souvent, il faut le dire, se dilue en prolixité plate. Le sonnet se fait rare chez lui, et il ne tente plus guère les formes savamment compliquées de la Pléiade. Des stances de quatre ou de six vers, ou des alexandrins continus, voilà sa forme, fluide et harmonieuse : pour sa matière, c’est parfois la galanterie, toute mouillée de sentimentalité, mais surtout les événements de la vie journalière. Bertaut s’est donné mission de pleurer les morts. Il y a en lui un poète mondain, qui tient des larmes prêtes à tous les deuils notables. Mais il a vraiment un fond d’imagination mélancolique, comme très sincèrement aussi il est Français et chrétien, il est lyrique de tempérament : il a des épanchements d’une douceur lamartinienne. Mais déjà il est forcé d’exciter son inspiration lyrique au contact de la Bible : quand il ne paraphrase pas un psaume, sa poésie tourne en raisonnement, et se charge de réflexions morales. Il est frappant que ses plus longues pièces portent le titre de Discours, et ce qu’il appelle Hymne de saint Louis est un « panégyrique » en vers du saint roi, orné d’abondantes moralisations.

Vauquelin de la Fresnaye[2], gentilhomme normand, est un amateur de province sur qui la Pléiade, si l’on peut dire, a coulé.

  1. Jean Bertaut, de Caen (1552-1611), fut encouragé par Ronsard et lié avec Desportes. Il s’attacha à Henri III, qui le nomma son lecteur et conseiller au Parlement de Grenoble ; après la mort de Henri III, il se rallia à Henri IV, qui le fit premier aumônier de la reine en 1600, et évêque de Séez en 1607. Œuvres poétiques, éd. A. Chenevière (Bibl. eizév.), Paris, Plon, 1891, in-16.
  2. Jean Vauquelin, né à la Fresnaye-au-Sauvage, près Falaise, en 1536, fut lieutenant général à Caen (1572), député aux États de Blois (1588), président au présidial de Caen, 1594 ; il mourut en 1606 ou 1608. Il avait débuté en 1555 par des Foresteries. Il commença son Art poétique en 1574 ; Henri III l’invita à y travailler ; cet ouvrage n’était pas achevé en 1589, et ne parut qu’en 1605. — Éditions : Diverses Poésies, 1605, Caen, gr. in-8 ; Caen, 1869, 2 vol. i n-8 ; l’Art poétique, Paris, Garnier, 1885, in-12. — À consulter : A.-P. Lemercier, Étude littéraire et morale sur les poésies de Jean Vauquelin de la Fresnaye, Paris, 1887, in-8. Vianey, Les Satyres françaises de Vauquelin de la Fresnaye, Rev. des Universités du Midi, oct.-déc. 1895.