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la littérature sous henri iv.

les œuvres du temps une molle détente, un éclat aimable et doux, une nonchalance négligée ; la sécheresse des pointes et de l’érudition se détrempe, pour ainsi dire, dans les tièdes courants de l’imagination et de la sensibilité [1].

La centralisation littéraire n’est pas faite : la littérature échappe encore au joug du monde et de la cour. D’où ces deux effets, qu’il y a encore des œuvres littéraires dont les sujets ne sont pas mondains, et des écrivains provinciaux, qui vivent loin de la cour et de Paris. Comme il n’y a pas encore de goût public, et qu’il n’y a plus de doctrine d’école, chacun suit en liberté la pente de sa pensée et va où les nécessités de sa vie intellectuelle et morale le poussent. Les grandes ambitions d’art ont disparu. Le lyrisme s’affaiblit dans la sentimentalité élégiaque. La fantaisie et la raison, le lyrisme et l’éloquence s’équilibrent. Sous le pédantisme de la Renaissance commence à percer l’originalité classique. On fleurit encore ses discours de souvenirs ; François de Sales met de l’histoire naturelle dans la théologie, et Montchrétien de la mythologie dans l’économie politique. Cependant le fond révèle une pensée déjà indépendante, qui choisit sa matière selon le besoin, et la traite selon la vérité. Il reste aussi chez les poètes des traces de pétrarquisme, mais nous sommes loin pourtant de Desportes. De toute façon, les ouvrages de la période qui nous occupe sont de bons Français. Il y a là un temps de repos et d’indépendance pour notre littérature entre les deux invasions de l’italianisme, dont la seconde s’aggravera d’une invasion espagnole.

Un esprit sérieux, pratique, sensé, bourgeois, a pris possession de la littérature, et, comme dans l’ordre politique et religieux, il ne rêve plus de subversions ni de reconstructions totales. Il ne songe qu’à utiliser et jouir. L’idée capitale de la Renaissance est passée dans les faits : la substitution des genres gréco-romains aux vieux genres français est définitivement acquise, et notre littérature, à peu près détachée du moyen âge, va se relier à l’antiquité. Alors se déterminent la plupart des genres et des formes importantes de notre art classique. Vauquelin et Régnier organisent la satire : Hardy, dont j’ai remis à parler, établit la tragédie. Malherbe règle ce qui peut subsister de lyrisme. Dans la prose, deux grands genres se laissent discerner : le discours moral et l’éloquence religieuse. Enfin, ici s’attache le roman.

  1. Cela ne s’applique guère à Henri IV, toujours avisé, et fort peu sentimental. Ses Lettres sont nerveuses et sèches avec quelques fusées d’imagination ; il faut se défier des apocryphes qui sont parfois les plus charmantes ; (Rev. d’Hist. litt., 1896) ; ses harangues sont vives, fermes ; la bonté et l’autorité y sont très attentivement combinées.

    Éditions : Lettres missives de Henri IV (Doc. inéd. sur l’Hist. de France), 1843-1876, 9 vol. in-4 ; Dussieux, Lettres intimes de Henri IV, in-8. 1876. — À consulter : Guadet, Henri IV, sa vie, son œuvre et ses écrits, 2e éd., Paris, 1882.