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retour a l’art antique.

La société et la littérature, depuis la querelle des anciens et des modernes, s’étaient désintéressées de l’antiquité. On n’enseignait plus le grec dans la plupart des collèges ; l’étude en était facultative dans les autres. On étudiait le latin : mais dans Cicéron et dans Tacite, dans Virgile et Lucrèce, on ne cherchait qu’une rhétorique, ou une philosophie. On n’essayait pas de voir, par l’histoire, la vie de ces grands peuples ; on oubliait totalement quelle place l’art avait tenue dans leur civilisation. Ceux des littérateurs qui parlent des Grecs et des Romains en parlent avec une connaissance bien superficielle, ou même avec une inintelligence grossière : lisez les jugements de Voltaire et de La Harpe. L’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres entretînt le goût sérieux et l’exacte connaissance de la Grèce et de Rome.

Tandis que d’autres travaillaient sur les langues, sur l’histoire, sur la religion, sur la science de l’antiquité, le comte de Caylus [1], un original de vif esprit et de puissante curiosité, faisait de l’archéologie son domaine. Il avait voyagé en Italie et dans le Levant ; il était en correspondance avec tous les savants et tous les antiquaires de l’Europe. Il étudiait infatigablement les débris de l’art antique, les procédés, les matériaux, la signification, l’usage, etc. : toutes ces études partielles tendaient à restaurer dans les esprits une représentation plus fidèle de la vie antique. Il s’enfermait volontairement dans la technique et le détail, et méprisait les philosophes qui parlent de tout sans rien savoir : les philosophes le lui rendaient bien, et sa réputation en a souffert. Mais Caylus n’était pas un érudit seulement, c’était un artiste ; dans l’archéologie il cherchait des leçons pour nos peintres et nos sculpteurs. Ce fut là son idée originale. Il servit de trait d’union entre l’Académie des Inscriptions et celle de Peinture et Sculpture. Il essaya de ramener nos artistes de l’idéal spirituel et galant à l’idéal sévère de la Renaissance et de l’antiquité. Il leur offrit les sujets antiques dans ses tableaux d’Homère et de Virgile (1757). Personne plus que lui ne contribua à changer la direction de l’art français : Vien procède de lui, et David est l’élève de Vien (Serment des Horaces, 1784). L’architecture avec Soufflot revient aussi aux formes antiques. Cette révolution n’est pas sans conséquence pour la littérature : car les artistes et les littérateurs ne sont plus deux mondes fermés, inconnus l’un à l’autre. De plus, l’institution des Salons donnait aux artistes un puissant moyen d’action sur la

  1. Le comte de Caylus (1692-1765), voyagea en Italie et en Orient, entra en 1731 à l’Académie royale de Peinture et de sculpture ; en 1712, à l’Académie des Inscriptions, publia de 1752 à 1767 son Recueil d’antiquités égyptiennes, étrusques, grecques, romaines et gauloises, 7 vol. in-4. — À consulter : S. Rocheblave, Essai sur le comte de Caylus, Paris, in-8. 1887.