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chateaubriand.

à montrer comment l’immortalité de l’âme et l’existence de Dieu se prouvent par cette voix intérieure appelée conscience [1] » : une citation de Cicéron par là-dessus, et voilà qui est fait. En vérité, cela est tout juste de la force de Bernardin de Saint-Pierre.

Mais voici qui n’est plus de Bernardin de Saint-Pierre : le Dieu dont parle Chateaubriand n’est pas le Dieu abstrait d’une idéologie, c’est le Dieu vivant du catholicisme. Et cette différence est immense. Les Études et les Harmonies de la nature n’étaient que puériles, au lieu que le Génie du Christianisme est puissant. Car, du moment qu’il s’agit du catholicisme et non du déisme, la démonstration baroque devient une association d’idées singulièrement efficace, lorsque du domaine de l’abstraction on passe aux réalités concrètes, lorsque l’on considère l’homme vivant, le Français de 1800. Celui-ci, par de lointaines hérédités, par quarante ou cinquante générations d’aïeux chrétiens, par d’indéracinables souvenirs de jeunesse, par toutes les habitudes de sa civilisation, était catholique. Il avait cessé de l’être récemment : pour qu’il le redevînt, il y avait plutôt à ranimer qu’à démontrer la foi. Ainsi le procédé qui consiste à éveiller par des tableaux pittoresques ou pathétiques toutes les vagues religiosités endormies dans nos âmes, à escompter rapidement ces émotions au profit du catholicisme, avant qu’on ait eu le temps de se reconnaître, ce procédé, au point de vue pratique, s’est trouvé souverain : il répondait exactement au besoin en ne visant qu’à créer de nouvelles associations dans les âmes. Le christianisme était associé depuis un siècle à des idées ridicules, grossières, odieuses : le nouveau livre l’associait à des idées touchantes, grandioses, vénérables. Le courant se rétablissait entre l’idée du Dieu catholique desséchée au fond des cœurs et tous les éléments actifs de la vie morale : l’escamotage logique devenait une suggestion puissante.

Je ne sais si Chateaubriand a choisi librement ses moyens. J’ai peur que, s’il n’a pas prouvé plus solidement, ce n’ait été impuissance : car nous voyons Joubert le supplier de laisser là ses infolio et décharger toute sa théologie. « Qu’il fasse son métier, écrivait-il, qu’il nous enchante [2]. » Faute de mieux, Chateaubriand s’y rabattit : il trouva le chemin des cœurs, parce qu’il suivit la méthode de son cœur. Cette communication entre le dogme catholique et toutes les parties vivantes de l’âme, il l’avait rétablie en lui-même : il offrait au public les remèdes dont il avait usé.

Mais, si la faiblesse philosophique du livre n’en empêcha point l’efficacité pratique, elle le condamnait à n’avoir qu’une efficacité momentanée. En un sens, Chateaubriand rétablissait la religion

  1. P. I, L. VI, ch. ii.
  2. Lettre du 12 sept. 1801. Toute la lettre est à lire.