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l’époque romantique.

rupture violente avec le passé, une explosion miraculeuse et soudaine que les uns maudissaient, les autres bénissaient, tous persuadés que la France de 1789 et de 1793 n’avait rien de commun avec la France de Louis XIV ou de saint Louis. Mais les orléanistes faisaient servir leur vue de l’histoire aux intérêts d’un parti : Tocqueville, plus philosophe en restant strictement historien, se contente d’établir la continuité du développement de nos institutions et de nos mœurs : la Révolution s’est faite en 1789, parce qu’elle était déjà à demi faite, et que, depuis des siècles, tout tendait à l’égalité et à la centralisation ; les dernières entraves des droits féodaux et de la royauté absolue parurent plus gênantes, parce qu’elles étaient les dernières. Il explique l’influence de la littérature et de l’irréligion sur la Révolution, et la prédominance du sentiment de l’égalité sur la passion de la liberté.

Ayant ainsi rend u compte de la destruction des institutions féodales et monarchiques, Tocqueville avait projeté de montrer comment la France nouvelle s’était reconstruite des débris de l’ancienne : c’est à peu près le vaste dessein que Taine a réalisé dans ses Origines de la France contemporaine. Mais Tocqueville n’eut pas le temps de donner ce complément de son ouvrage.

Les deux œuvres austères dont nous avons parlé, ne montrent pas toute la physionomie de Tocqueville. Ce n’est pas par impuissance qu’il n’y a mis ni esprit ni saillies : c’est par convenance ; mais dans ses Lettres et ses Souvenirs, où il s’abandonne à son impression, on est tout surpris de trouver chez cet homme grave tant de vivacité et tant de mordant.


3. LA RÉSURRECTION DU PASSÉ : MICHELET.


Ce que Augustin Thierry voulut être et ne fut pas pleinement, Jules Michelet le fut avec une incomparable puissance.

Michelet[1] eut ses erreurs, ses préjugés, ses haines ; âme infiniment tendre, il a détesté furieusement certaines idées, et les hommes aussi qui les représentaient. La vérité, la sérénité de son œuvre en ont été diminuées. Son excuse, c’est tout ce qu’il a souf-

  1. Biographie : Jules Michelet (1798-1874), fils d’un imprimeur ruiné par le Consulat et l’Empire, répétiteur dans une pension en 1817, professeur au collège Sainte-Barbe en 1822, maître de conférences à l’École normale en 1827, supplée Guizot à la Sorbonne (1833-1836), puis est désigné pour la chaire de morale et d’histoire du Collège de France (1838).

    Éditions : Principes de la philosophie de l’histoire ; Précis d’histoire moderne, 1828 ; Histoire romaine, 1831 ; les Mémoires de Luther, 1835. 2 vol. in-8 ; Du Prêtre, de la