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le roman.

un savant. Il s’inspire, outre Taine, de Claude Bernard. Un roman n’est plus seulement pour lui une observation qui décrit les combinaisons spontanées de la vie : c’est une expérience, qui produit artificiellement des faits d’où l’on induit une loi certaine et nécessaire. Il n’y a pas lieu de nous arrêter à la théorie du roman expérimental : elle repose sur la plus singulière méprise. M. Zola n’a jamais aperçu la différence qui existe entre une expérience scientifiquement conduite dans un laboratoire de chimie ou de physiologie, et les prétendues expériences du roman où tout se passe dans la tête de l’auteur, et qui ne sont en fin de compte que des hypothèses plus ou moins arbitraires[1]. M. Zola ne nous a-t-il pas confié lui-même, dans une lettre rendue publique, que son roman du Rêve était une « expérience scientifique » conduite « à toute volée d’imagination » ?

Passons donc condamnation sur les prétentions scientifiques de M. Zola : toute la série des Rougon-Macquart, cette histoire naturelle d’une famille sous le second Empire, ne nous apprend rien sur la loi de l’hérédité, ne la démontre ni ne l’explique. Dans l’hypothèse de la parenté qui unit tous les héros de ces romans, je ne puis voir qu’un artifice littéraire, assez inutile du reste : les œuvres ne perdraient rien à rester isolées dans leurs titres, comme elles le sont de fait. Car toutes les branches de la famille des Rougon-Macquart poussent de tous côtés, à toutes hauteurs, et la série ne me donne pas même cette impression générale que produit la Comédie humaine de Balzac : les récits divergents ne concourent pas à former en moi l’idée d’un vaste ensemble social, où les diverses parties se tiennent et se raccordent.

La faiblesse de la conception scientifique de M. Zola apparaît assez curieusement dans le caractère particulier de chacun des romans qui doivent l’exprimer. Il semblerait que l’objet principal du romancier devrait être l’étude de l’individu en qui se continue la névrose héréditaire : mais pas du tout. L’individu s’efface : et les documents qu’apporte M. Zola sont relatifs à une spécialité professionnelle, ici les chemins de fer, là les mines, là la broderie, ailleurs la finance. C’est Gervaise qui est une Rougon-Macquart, mais c’est à l’alcoolisme de Coupeau que l’auteur s’attache ; et Gervaise, avec son hérédité, n’aurait pas déraillé, si Coupeau n’avait bu.

Au reste, expérimentations scientifiques, ou explications techniques, tout le scientifique et tout le technique se valent chez M. Zola : il n’est même pas vulgarisateur comme M. Jules Verne. Ce n’est chez lui qu’agitation confuse, étalage incohérent de mots savants ou spéciaux, qui étourdissent sans éclairer. C’est de la science en trompe-l’œil.

  1. Taine (Préface des Essais de critique) invitait à l’erreur (12e éd.