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le naturalisme.

La psychologie des romans de M. Zola est bien courte. Sa doctrine lui disait — et son tempérament ne protestait pas contre sa doctrine — que l’observation scientifique est extérieure, non intérieure. Il ne s’est pas douté que ce n’est qu’en soi qu’on connaît les autres. Il a vu passer des gens en blouse ou en redingote, gesticuler des bras, étinceler des yeux, râler ou saigner des corps : et il s’est demandé ce que cela signifiait. Ou plutôt, il l’a demandé à sa science : ses manuels de médecine lui ont montré des cas pathologiques ; ses manuels de physiologie lui ont expliqué les fonctions de la vie animale. Persuadé qu’il tenait tout l’homme, il n’a rien cherché dans la vie humaine au-delà des accidents de la névrose et des phénomènes de la nutrition. Des agitations de fous, ou des appétits de brutes, voilà tout ce qu’il nous offre : de là, l’indigence psychologique, le vide inquiétant de ses bons-hommes : de là, la mécanique brutale et grossièrement conventionnelle de leurs actes. Ce sont des fous ou des brutes, de qui, au bout de quatre cents pages, après qu’ils ont étalé leur vie, on n’a rien à dire, sinon que ce sont des brutes ou des fous.

Malgré ses ambitions scientifiques, M. Zola est avant tout un romantique. Il me fait penser à V. Hugo. Il a un talent vulgaire et robuste, où domine l’imagination. Ses romans sont des poèmes, de lourds et grossiers poèmes, mais des poèmes. Les descriptions sont intenses, éclatantes, écrasantes, et tournent en visions hallucinatoires[1] : l’œil de M. Zola, ou sa plume, déforme et agrandit tous les objets. C’est un rêve monstrueux de la vie qu’il nous offre : ce n’en est pas la réalité simplement transcrite. Sa fantaisie effrénée anime toutes les formes inertes ; Paris, une mine, un grand magasin, une locomotive, deviennent des êtres effrayants qui veulent, qui menacent, qui dévorent, qui souffrent ; tout cela danse devant nos yeux comme dans un cauchemar. La pauvreté et la raideur des caractères individuels les inclinent à devenir des expressions symboliques[2], et le roman tend à s’organiser en vaste allégorie, où plus ou moins confusément se déchiffre quelque conception philosophique, scientifique ou sociale, de mince valeur à l’ordinaire et de nulle originalité. Tout cela est bien d’un romantique, et l’on a pu qualifier de réalisme épique le genre de M. Zola.

  1. Cf. ce prodigieux Paradou, dans la Faute de l’abbé Mouret : il n’y a pas un exemple même chez Victor Hugo d’un aussi fantastique agrandissement de la réalité : cependant cf. les Misérables (le jardin de la rue Plumet) et les Chansons des rues et des bois. Pour le principe de ce procédé descriptif, voir la « personne » de la cathédrale dans Notre-Dame de Paris.
  2. Les gras et les maigres, du Ventre de Paris. Le paysan et le bourgeois, dans la Débâcle. Ailleurs une femme qui devient la Femme, et son vice le Vice universel. Même dans le couple de l’Assommoir, peu d’individualité, et au contraire, puissante vérité typique.