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le naturalisme.

ces deux œuvres, ils indiquaient trois caractères du naturalisme : d’abord l’usage du document, de la note prise au vol dans les rencontres de la vie ; traduisons : la substitution du reportage à la psychologie ; en second lieu, la superstition ou la prétention scientifique, la fréquentation de la clinique, l’étude de l’hystérie ici, là de la maladie de cœur, donc la substitution de la pathologie à la psychologie ; enfin, dans Germinie Lacerteux, le principe si contestable que les faits vulgaires et les milieux populaires sont le propre domaine de l’art réaliste, qu’il y a plus de réalité dans l’œuvre quand il y a plus de grossièreté dans la matière.

MM. de Goncourt ont conscience d’avoir été « des créatures passionnées, nerveuses, maladivement impressionnables » : ils ont été en effet des maniaques littéraires. Sur leurs terribles carnets ils ont couché tout ce que leurs yeux et leurs oreilles ont rencontré, choses et hommes, meubles et idées ; plus sensitifs qu’intelligents, ils ont à l’ordinaire curieusement fixé l’aspect des choses, cruellement aplati les idées des hommes. Surtout ils ne se sont jamais doutés combien cette féroce application à tout convertir en notes pour des livres pouvait fausser les justes proportions, altérer la vraie couleur de la vie. Dans leur œuvre laborieuse, ils ont réussi surtout à exprimer certains types de détraqués et de déclassés, gens de lettres, artistes, acrobates ; ils ont rendu avec une singulière originalité les formes d’âmes les plus factices qu’une civilisation trop raffinée fait éclore, la jeune fille du grand monde parisien, par exemple, dans ce roman de Renée Mauperin, qui demeurera, je pense, l’une des œuvres caractéristiques de notre temps.

Enfin, par leur style tourmenté, raffiné, souvent extravagant ou alambiqué, souvent aussi d’une intense et originale précision, MM. de Goncourt ont exercé une grande influence sur leurs contemporains. Ils ont créé vraiment le style impressionniste : un style très artistique, qui sacrifie la grammaire à l’impression, qui, par la suppression de tous les mois incolores, inexpressifs, que réclamait l’ancienne régularité de la construction grammaticale, par l’élimination de tout ce qui n’est qu’articulation de la phrase et signe de rapport, ne laisse subsister, juxtaposés dans une sorte de pointillé, que les termes producteurs de sensations.

M. Alphonse Daudet[1], un fin Méridional, nature souple, nerveuse,

  1. M. Alphonse Daudet (né à Nimes en 1840), débute par un volume de vers, les Amoureuses (1858) ; Lettres de mon Moulin (1869) ; Contes du lundi (1873).

    Éditions : Froment jeune et Risler aîné (1874), le Nabab (1877), Sapho (1884), Charpentier, in-18 ; Jack (2 vol., 1876) ; les Rois en exil (1879), l'Évangéliste (1883), Denlu, in-18 ; le Petit Chose (1868), Hetzel, in-18, et Lemerre, pet. in-12 ; l’Immortel (1880), Lemerre, in-18 ; Théâtre, Charpentier, 2 vol. in-18, 1880-1896. Collection Guillaume,