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science, histoire, mémoires.

par une création synthétique que dirige un remarquable sens psychologique, rend de pâles figures historiques aussi vivantes, aussi réelles que des personnages de roman.

Une des plus inattendues et originales applications de ce talent est celle que nous présente M. Gréard : il a mis sa clairvoyance de moraliste dans la rédaction des rapports et documents administratifs ; et c’est la première fois, je crois, que des « écritures » de cet ordre sont devenues œuvres littéraires[1].

Au reste, il faut ici réserver la part de ce que l’avenir révélera. La littérature du xixe siècle ne sera complète qu’au xxe ou au xxie siècle : quand nous ne serons plus, nos héritiers découvriront des penseurs qui auront fait leur tâche parmi nous, à côté de nous, à notre insu. Il se rencontrera peut-être alors quelque moraliste, qui aura passé sa vie à noter chaque acquisition de son expérience. C’est ainsi que récemment le Suisse Amiel nous a été découvert après sa mort : type remarquable d’impuissance pratique et d’activité interne, esprit tout occupé à l’analyse de soi, perdant à s’étudier le temps et la faculté d’agir, subtil, pénétrant, triste de clairvoyance aiguë, et, il faut bien le dire, quelquefois insupportable par sa manie de tout compliquer pour décomposer tout[2].


2. ÉRUDITION ET HISTOIRE : FUSTEL DE COULANGES.


Mais c’est toujours l’histoire, avec ses sciences auxiliaires, qui enrichit le plus notre littérature. Par les grands historiens romantiques, l’histoire a été vraiment réunie à la littérature, qu’elle ne touchait jusque-là qu’accidentellement. À la suite de l’histoire, toute l’érudition, toutes les parties de l’archéologie et de la philologie, apportent leur contribution. La valeur littéraire des œuvres d’érudition se mesure à deux caractères : la quantité de pensée philosophique impliquée ou suggérée ; l’intensité de vie concrète exprimée ou dégagée.

Je mets à part Renan, dont toute l’œuvre est sortie en somme de la philologie sémitique : j’y reviendrai tout à l’heure. À l’archéologie appartient la vaste Histoire de l’art dans l’antiquité de

    de femmes (1888) ; Princesses et grandes dames (1890) ; Bourgeois et gens de peu (1894) ; Nérvrosés (1898).

  1. O. Gréard (1828-1924), vice-recteur de l’académie de Paris. Mémoire sur l’enseignement secondaire des filles, présenté au Conseil académique de Paris (1882). Éducation et instruction, 4 vol. in-18, 1887, Hachette (recueil de rapports et mémoires). L’Éducation des femmes par les femmes (1886).
  2. H.-F. Amiel, Fragments d’un journal intime, précédés d’une étude par Schérer, 2 vol. in-12. 1883-84, Genève.