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le naturalisme.

élémentaires, et que les historiens verront surtout les témérités ou les erreurs de ses livres, il demeurera entier dans la littérature, comme Montesquieu et comme Michelet. Il a réduit au minimum la subjectivité, impossible à éliminer absolument de tous les travaux où l’intelligence ne peut se substituer l’automatisme des instruments. Il y a bien quelque réaction du sentiment français à l’extrême point de départ de ses travaux sur les origines de la féodalité. Dans cette Cité antique qui révèle la force des institutions religieuses parmi les sociétés antiques, je sens passer le même courant d’idées contemporaines que dans les études de Renan sur le christianisme ou de M. Boissier sur le paganisme : je dirais presque le même que dans la poésie mythologique de M. Leconte de Lisle. Mais toutes les suggestions de la personnalité, les pressions du milieu prennent vite chez Fustel de Coulanges la forme scientifique : elles deviennent des idées d’enquêtes historiques, qu’il poursuit méthodiquement, sans parti pris, cédant aux textes critiqués, contrôlés avec la dernière rigueur ; et s’il reste une cause d’erreur, elle est dans l’infirmité humaine, dans la complaisance dont le plus sévère esprit ne peut se défendre pour les pensées qui sont sa conquête ou sa création, dans la facilité avec laquelle il laisse écouler toujours un peu de lui-même dans les choses, et sollicite l’imprécise élasticité des textes.

Mais enfin je ne sais rien de plus pénétrant et de plus fort que les études de Fustel sur les institutions d’Athènes, de Sparte, de Rome, sur la monarchie franque et la transformation de la société gallo-romaine en féodalité française. Il y a là une étendue d’informations et une sobriété puissante d’exposition, une force d’idées dans l’enchaînement et l’interprétation des faits, cette plénitude concentrée enfin et cette fermeté robuste de style qui font les chefs-d’œuvre. Cela est parfaitement simple et beau. Fustel de Coulanges est un philosophe, ou plutôt un homme de science : ce qu’il poursuit, c’est la réduction du réel à des lois ; tous ses travaux sont des généralisations. Et il serait faux d’estimer son œuvre abstraite. Sans dépense de couleur, sans collection de petits faits ni défilé d’anecdotes, avec le plus sobre usage des textes dont il extrait l’essence, il nous fait sentir la vie. On voit bien qu’il l’atteint en ses sources profondes, en ses organes essentiels. Mais, de plus, la précision extrême de son étude exprime toute la réalité : il sait obtenir les plus grands effets par les plus simples moyens, et quelques types compréhensifs, quelques faits caractéristiques — très peu nombreux, mais très soigneusement choisis — nous rendent la Grèce présente, en sa vivante originalité, ou Rome, ou la France des Mérovingiens.

Fustel de Coulanges ne cherche rien au delà de la représenta-