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le fin du siècle.

un fait grave dont lu conséquence pour la littérature est facile à constater. Dans l’état de division et d’excitation des consciences, l’écrivain dilettante a presque disparu. Les gens aimables qui prêchent la retraite dans l’étude, dans le culte fervent et solitaire des lettres ou de la science, tout l’effet d’hommes d’un autre âge, et, pour dire le mot, d’égoïstes obstinés. Savants, historiens, romanciers, dramaturges, portes, il n’est presque personne qui ne se croie le devoir de prendre parti, de dire dans quel camp il combat, et pour quel idéal. La neutralité déshonore. Tandis que M. Duclaux quitte son laboratoire, M. Émile Zola, M. François Coppée, M. Maurice Barrès, M. Ferdinand Brunetière, M. Maurice Bouchor, M. Jules Lemaitre même et M. Anatole France sortent de leurs cabinets de travail, pour s’exposer aux coups dans la mêlée politique et sociale. La littérature désintéressée, indifférente, ne se trouve plus guère : il y a un élément de polémique dans presque toutes les œuvres d’art et de critique. Même où la polémique fait défaut, un élément d’actualité se laisse discerner, une préoccupation inquiète ou enthousiaste des problèmes sociaux dont la France est travaillée.

En même temps, un souci, longtemps inconnu à nos écrivains, travaille un bon nombre d’entre eux. Ils pensent au peuple. Notre littérature classique était faite pour les salons : notre littérature romantique était faite pour les cénacles et les coteries, pour le monde spécial de la littérature, du journalisme et des arts. Notre littérature naturaliste avait la haine aussi du philistin, du bourgeois et de la foule. Le roman et le théâtre, les genres dont l’extension est la plus ample, ne dépassaient guère les limites de la bourgeoisie parisienne et européenne ; notre bourgeoisie provinciale n’était que rarement entamée. Aujourd’hui beaucoup d’écrivains, et non les moins artistes, songent à n’étre pas entendus d’une élite seulement, mais de toute la France. Le problème d’une poésie populaire, d’un théâtre populaire, en un mot d’une littérature populaire — toujours artistique en sa forme, mais populaire par sa diffusion — s’est posé. Et sans doute cette préoccupation nouvelle a été pour quelque chose déjà dans le choix de plus d’un sujet de pièce, de poème ou de roman : elle contribue à détourner les littérateurs des éternels thèmes de l’adultère et du lyrisme égotiste vers les cas d’un intérêt humain, national et social.


2. LES GENRES ET LES ŒUVRES. — LA CRITIQUE.


Depuis que Taine et Renan ont disparu, les maîtres de la critique ont été des hommes qui paraissaient se soucier peu ou être