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la littérature en formation.

la portée de tout le monde, dans cette pièce romantique, a séduit le public jusqu’à un degré incroyable. Cyrano est le plus grand succès du théâtre contemporain, depuis le Maître de Forges, les Deux Orphelines, et les Cloches de Corneville. Des critiques avisés ont cru que M. Rostand venait de faire une révolution sur la scène française, alors qu’avec un charme personnel dans l’exécution, il la ramenait à la formule de Tragaldabas et des Trois Mousquetaires. Les autres œuvres dramatiques de M. Rostand, avant après Cyrano, manifestent les mêmes qualités poétiques, plus de grâce sentimentale au début, dans la suite plus d’abondance chatoyante : elles pourront assurer à M. Rostand un rang personnel dans l’histoire de la littérature contemporaine ; elles n’intéressent pas, je crois, l’évolution de la forme dramatique, autrement que comme de brillantes survivances d’un art antérieur[1].


5. POÉSIE.


C’est dans la poésie que l’évolution a été le plus nette : elle a pris même une apparence de révolution. Sans doute, il se fait encore de bons vers, des vers délicats et parfois puissants, dans les formes traditionnelles. Sans rien innover dans la technique, M. Jean Lahor[2] nous a offert une poésie bouddhique, dont le pessimisme a un accent énergique et bien personnel. M. Maurice Bouchor, dans ses drames pour marionnettes[3], comme dans ses

  1. On devrait aujourd’hui mentionner M. A. Capus, vaudevilliste aimable et un, qui trouve moyen d’unir l’observation fine et l’optimisme (Brignol et sa fille, 1895 ; la Veine, 1902 ; l’Adversaire. 1904 : Monsieur Piégois, 1905 ; Notre jeunesse, 1904 ; les Passagères. 1900 ; les Deux Hommes, 1908) ; M. H. Bataille, talent nerveux et hardi, parfois profondément humain (Maman Colibri, 1901 ; la Marche Nuptiale, 1905 ; Potiche, 1906 ; la Femme nue, 1908) ; M. Bernstein, dramaturge vigoureux et malin, qui produit et exploite l’émotion avec un peu trop d’artifice, capable pourtant de remuer de la vie (le Détour, 1902 ; le Bercail, 1901 ; la Rafale, 1905 ; le Voleur, 1906 ; Samson, 1907 ; Israël, 1908 ; l’Assaut, 1912) ; M. Émile Fabre, peintre clairvoyant et censeur âpre des mœurs politiques et financières (l’Argent, 1895 : la vie publique, 1902 ; les Ventres dorés, 1905 ; la Maison d’argile, 1907). Enfin M. Courteline a ramené la farce à l’observation des caractères et des mœurs : ses charges de militaires, de magistrats et de bourgeois sont d’une justesse fine dans leur outrance hardie (les Gaietés de l’escadron, 1886 ; la Vie de Caserne, 1888 ; Boubouroche, 1893). (11e éd.).
  2. Jean Lahor (le Dr  Cazalis, 1810-1909), l’Illusion, 1888, la Gloire du Néant, 1896.
  3. Tobie, 1889, éd. revue, 1899, Noël, 1890, la Légende de Sainte-Cécile, 1891, les Mystères d’Eleusis, 1894. Ce sont les quatre drames pour marionnettes. M. Bouchor a donné encore la Première vision de Jeanne d’Arc, 1900. Les Symboles ont paru en deux séries, 1888-1895. — Il faut noter ici le rôle considérable joué en ces dernières années par M. Bouchor, pour le développement de l’éducation populaire. Il s’est assigné pour mission de présenter au peuple ouvrier et aux enfants des écoles les plus purs chefs-d’œuvre artistiques, de mettre la joie esthétique et l’élargissement intellectuel qui en résulte à la portée des âmes enfermées dans les vies les plus