Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/184

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
162
decomposition du moyen âge.

férences : chaque traducteur brodait à sa fantaisie sur le thème offert par le manuel, et ces rédactions dans leur diversité peuvent nous donner une idée des formes dans lesquelles l’éloquence latine du bon évêque de Paris parvint au peuple.

Il est donc impossible de faire l’histoire de la prédication chrétienne au moyen âge, sans réunir les textes latins aux textes français, quelle qu’en ait été la forme première : et c’est ce qui nous dispense d’y insister, dans un ouvrage tel que celui-ci. Plus libre, plus personnelle au xiie siècle, et tardant l’empreinte plus visible de la fougue ou de l’onction du sermonnaire, plus subtile et plus sèche au xiiie, et plus asservie aux formes et aux procédés de la dialectique scolastique, l’éloquence religieuse reproduit dans son développement toutes les phases du goût, tous les caractères de la culture du moyen âge. La grande règle de la rhétorique naturelle, c’est de plaire et de toucher : pour cela les prédicateurs ramassent de tous côtés ce qu’ils croient de nature à intéresser, même à amuser l’auditeur. Ils n’ont souci que du résultat, aussi passent-ils par-dessus toutes les convenances, tous les scrupules de goût. Ils débitent des contes, expliquent des allégories : leur sermon est tantôt un miracle de Notre-Dame, tantôt un fabliau, tantôt un chapitre de Physiologus et tantôt un débat ou une bataille.

Mais peu à peu il se forme un art de prêcher ; les recettes mécaniques se substituent à l’inspiration personnelle. Les manuels, les recueils de modèles, de matériaux préparés et classés, se multiplient. Maurice de Sully et Alain de Lille, dès le xiie siècle, ont donné l’exemple : leurs successeurs sont légion au xive siècle. L’éloquence est mise à la portée de tout le monde. Voici les Gesta Romanorum, ou bien l’Échelle du Ciel (Scala Cœli), à l’usage de ceux qui aiment les contes Voici l’Universum prædirabile, pour les curieux d’histoire naturelle, de physique, d’astrologie. Ou bien prenez la Somme des Prédicateurs, où Jean Bromyard a enfermé toutes matières prêchables. Si vous voulez des interprétations morales de l’Écriture, les voici toutes, par ordre alphabétique, dans le Répertoire des deux Testaments, de Pierre Bersuire. Aimez-vous mieux la poésie profane, le galant Ovide et ses Métamorphoses, prenez Ovide moralisé à l’usage de la chaire. Puis viennent les traités techniques, qui mettent en main la méthode : Ars dividendi themata, Ars dilatandi sermones. Diviser et dilater, tout est là, et les deux procédés qui s’unissent et se complètent sont l’allégorie et le syllogisme ; ce dernier même finit par tout comprendre : Ars faciendi sermones secundum formam syllogisticam, ad quam omnes alii modi sunt reducendi. Mais c’est encore bien du mal pour un pauvre curé, un simple moine, que de