Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/186

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
decomposition du moyen âge.

Gerson conserve toutes les formes traditionnelles de l’éloquence de la chaire. Cependant il simplifie certainement l’appareil scolastique, il ménage les divisions, les citations, retenant seulement les procédés et figures qui émeuvent l’imagination. La mise en scène de son argumentation vise à être expressive et touchante. Un sermon sur l’immaculée Conception est un débat entre Nature et Grâce, et un débat judiciaire avec plaidoiries et arrêt en forme. Un sermon sur les Péchés Capitaux tourne en Bataille des vertus et des vices, à la mode des peintres primitifs. Ailleurs il use de l’allégorie : il arme les apôtres en chevaliers, avec « l’écu de ferme créance », et « l’épée de vraie sapience » : ou bien il construit le temple interne de l’homme. Tel autre sermon est une vision, tel autre un conte dévot : ailleurs, et plus heureusement, les arguments prennent vie, et le sermon se développe en un dialogue dramatique.

Dans ces cadres convenus, que le siècle mettait à sa disposition, Gerson a su faire entendre des accents personnels. Il a la foi et la charité : vraies sources de toute éloquence, dès que les lumières ne sont pas trop courtes. Aussi a-t-il prêché simplement, pathétiquement, les grands thèmes que la morale et le dogme chrétiens offrent aux prédicateurs. Mais jamais il n’approche plus de la grande éloquence et de son irrésistible naturel que lorsque son propos ramène aux misères du temps. Ses plus belles pages — et cette seule remarque l’honore — sont sur le schisme et sur les souffrances du peuple. Vivat rex, vivat pax, ces deux textes de deux discours qu’il adressa au roi Charles VI et qui firent une impression profonde, résument toute la pensée politique de Gerson. Elle le suit partout, et dans ses sermons jette à l’improviste de douloureux et pathétiques mouvements : prêchant un jour de Noël, il pose que Jésus est venu apporter la paix aux hommes, et ce mot de paix évoquant en son esprit l’ardente et toujours vaine aspiration des peuples, il adresse au roi et aux princes une exhortation singulièrement émue et touchante : il n’y a pas beaucoup de pareils morceaux dans l’éloquence religieuse avant Bossuet.

Au reste l’actualité ne l’emporte pas, et dans ses propositions comme dans ses sermons, si passionné qu’il soit, si exact et si abondant sur les faits et circonstances, il reste toujours le chrétien qui enseigne la parole de Dieu : grave, austère, il en revient toujours à prêcher la pénitence, seul remède aux maux de la chrétienté. De là cette doctrine à la fois sombre et consolante, cette dureté qui se fond en espérance et tendresse.

Pour le style et la langue, Gerson est un contemporain des Oresme et des Jean de Montreuil. Il appartient au groupe des humanistes. Ses œuvres françaises s’en ressentent plus que son latin, tout sco-