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décomposition du moyen âge.

tions, apostrophes brutales, apologues satiriques, dialogues comiques ou dramatiques, quolibets des halles et pédantisme de l’école, descriptions saisissantes de vérité vécue, et parfois à l’aventure d’étonnantes images de mélancolie profonde, des jets hardis de poésie pittoresque, tout se mêlait, se heurtait dans cette verve puissante dont ils enlevaient les foules, grands et peuple. Ils faisaient ainsi de la religion une chose vivante et populaire : tant pis si elle y perdait sa pureté, sa fière et divine idéalité.

Ainsi, de l’honneur, de la foi féodale, il ne faut plus parler, et voici que la foi religieuse elle-même n’est plus de force à enlever l’homme, à créer de nobles formes d’âme et d’existence. Pour subsister, pour avoir une action encore efficace, il faut qu’elle se mette au ton du siècle, et, dans sa voix au moins et ses gestes, marque prendre sa part de la dégradation universelle. N’est-il donc point au xve siècle de ces sentiments généraux, qui font courir à travers une société, du haut en bas, une commune aspiration à quelque idéale et hautaine manière d’être ou d’agir ? Ces sentiments, dans l’ordre littéraire, sont comme une source publique d’inspiration qui répare parfois les insuffisances de l’originalité personnelle, mais aussi comme un lien qui rassemble les divergences infinies des tendances individuelles : ce sont eux qui font l’homogénéité et l’unité des grands siècles artistiques. Le xve siècle n’a point été dépourvu de ces principes ; il en a connu deux qui ont fait contrepoids aux forces dissolvantes et dégradantes.

L’un, issu des profondeurs de la nation, est le sentiment national, inséparable de la pitié du pauvre peuple. On peut dire que la moitié des pages éloquentes ou des émotions poétiques du xve siècle (comme déjà du xive) est un produit du patriotisme, l’expression d’un amour nouveau de la France, et de la tendresse ou de l’indignation que les misères des humbles et des laborieux excitent. Christine, Chartier, Maillard ou Menot sont là pour l’attester : et il n’est pas jusqu’à cet honnête procureur au Parlement qui versifie en ses bizarres Vigiles la chronique du roi Charles VII ; il n’est pas jusqu’à Martial d’Auvergne dont ce sentiment ne relève la plate facilité. Telle chanson anonyme, en son âpre gaieté, nous serre le cœur autant que la plus pitoyable déploration de la vie douloureuse des pauvres gens.

L’autre, le plus vivant rameau du tronc de la foi chrétienne, où toute la sève se porte quand le reste se dessèche, c’est l’idée de la mort qui, sous le poids écrasant des misères, dans l’anarchie morale et religieuse, s’exaspère en un sentiment aigu de l’anéantissement de la chair. La mort, idée centrale du dogme chrétien, se détache de plus en plus de toutes les croyances qui lui donnent sa haute moralité et sa vertu consolante, pour devenir une horreur