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le quatorzième siècle.

s’arrêtait. Villon eut soin de se faire remettre le vol de Navarre. Il revint à Paris, ayant en poche son Grand Testament. Était-il tout à fait amendé ? En novembre 1463, après souper, trois compagnons et lui raillent, insultent, provoquent les clercs de maître Ferrebouc, par la fenêtre de leur étude. Ceux-ci sortent : bagarre. Villon disparaît dès qu’on se bat. Cependant il fut poursuivi, mis à la question, et condamné par le prévôt de Paris à être pendu. C’est alors qu’il appela au Parlement, qui commua la peine en bannissement. On n’entend plus ensuite parler de lui : sans doute il ne vécut pas longtemps. Corrigé, il eût écrit d’autres œuvres : resté le même, la justice aurait mis son nom dans les archives.

On voit quel fut François Villon : voleur, assassin, et pis s’il se peut. Voilà pourtant l’homme à qui il faut demander tout ce que le xve siècle a produit, ou peu s’en faut, de haute et profondément pénétrante poésie : il n’y a pas à en douter, ce malfaiteur fut un grand poète, pour quelque deux cents vers parmi tous ceux qu’il a faits.

Même sans eux, il aurait de quoi attirer notre attention. Poète parisien, ayant roulé dans tous les bas-fonds, connu toute l’armée de la débauche et du crime, il a dépeint l’ignominie de ce monde qui toujours intéresse les honnêtes gens, avec l’esprit qu’il fallait : un esprit parisien, narquois, bouffon, salé, pittoresque. Il a le mot qui emporte pièce, la couleur crue, intense, le trait net, ferme, qui détache vigoureusement l’image. À travers une grêle de bouffonneries, de crudités, de goguenarderies, de calembours, de doctes réminiscences (car enfin il a ses grades et licentiam docendi), le joyeux compagnon lance l’inoubliable formule, où l’imagination entrevoit toute une vie, tout un monde. Ses refrains ramassent nerveusement tout le sentiment d’une pièce. Çà et là, de tous côtés, surgissent de louches physionomies de brelandiers et d’escrocs : une étrange sympathie se mêle à l’ironie mordante, et dans le témoin trahit un confrère.

Mais Villon est autre chose qu’un gueux peintre des gueux : ce meurtrier, ce filou, cet ami de je ne sais quelle Margot, qu’on estimerait gâté jusqu’aux moelles, et qui l’est, a d’étonnantes fraîcheurs d’imagination ; il pousse sur la pourriture de cette âme d’exquises fleurs de sentiment. On sait les strophes pénétrantes où, sortant des prisons de Meung, il confesse sa vie folle et dit son repentir. Ici se pose un grave problème : quelle est la sincérité de Villon ? Est-ce invention verbale, toute-puissante illusion du talent littéraire ? est-ce duplicité, fausses larmes, hypocrisie ? J’incline à croire à l’absolue sincérité du poète. Engagé dans la voie honteuse, le tumulte des jouissances et des périls, les pensées pressantes de l’action quotidienne n’ont pas éteint en lui la vie intérieure : il s’abandonne, mais il se voit, et il se juge. En de