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littérature dramatique.

présent qu’il cherche. Qu’on lui parle de lui, et contre ceux par qui il croit souffrir : il entend volontiers mépriser les nobles et les prêtres, et tous ses maîtres. Mais surtout la place publique, la rue, la taverne, avec leur population pittoresque et leur vivante confusion, des chansons d’aveugles, des geigneries de mendiants, des quolibets de buveurs, des jurements de joueurs, des insolences de sergents, des boniments de marchands, voilà le spectacle dont il ne se lasse jamais. La farce avec son réalisme trivial et sa cynique bouffonnerie envahit le mystère, et le drame chrétien est étouffé sous l’excessive abondance des scènes populaires.

La brutalité dure des âmes goûte le comique jusque dans l’horreur : la souffrance physique est plaisante, si le patient est odieux. Une bouffonnerie féroce se joue du pauvre corps humain. Les bourreaux, de mine truculente, aux noms pittoresques, Humebrouet ou Claquedent, sont de facétieux compères, évidemment sympathiques à l’assistance, même quand ils torturent les saints ou le Christ : on ne trouve jamais leurs rôles trop longs. Les acteurs surnaturels eux-mêmes tournent au comique. Le diable fait peur, et fait rire. L’homme tremble à voir l’ennemi : mais il voit Dieu, qui sera le plus tort, et se rassure. Toujours nasardes coups, tombent sur ces pauvres diables : ils sont bernés ; ils sont nigauds ; ils sont vulgaires. Ils cessent d’être sérieux : ils viennent enlever les âmes des morts, après une bataille, dans des brouettes.

Ainsi s’avilit la grandeur essentielle des sujets par la complaisance des poètes pour les bas instincts du peuple. Le peuple faisait la loi : car il ne voyait pas seulement, il commandait, et il jouait les pièces. L’auteur servait de son mieux ceux qui le payaient ; du reste, il était peuple lui-même, et s’amusait des mêmes choses.

Cependant ce même peuple croyait, et les hautes parties du drame chrétien l’eussent touché, s’il y avait eu des auteurs pour les traiter dignement : elles touchaient telles quelles, dans leur platitude et dans leurs diffusions. Le malheur fut que le génie manqua aux faiseurs de mystères. Nulle époque ne met mieux en lumière l’absolue différence qui sépare le théâtre de la littérature. C’est au xve siècle certainement que le théâtre du moyen âge s’épanouit dans tout son éclat : et littérairement, les œuvres dramatiques du xve sièclesont fort médiocres ; je ne sais si, quand on passe du xiie et du xiiie siècle au xve, il n’y a pas décadence : à coup sûr il n’y a pas progrès. L’invention se perd dans la diffusion et le bavardage. L’art ne se marque que par les raffinements pénibles ou baroques du rythme et de l’expression.

Ce n’est pas qu’il n’y ait de belles idées, et même d’heureuses parties dans quelques-uns de ces mystères. Il sera facile de louer