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littérature dramatique.

plus que le génie dramatique, il eût fallu le génie de la poésie symbolique et lyrique pour en tirer des chefs-d’œuvre. Il eût fallu la puissante fantaisie qui a créé les Oiseaux d’Aristophane.

La moralité allégorique et la sottie sont des efforts pour dégager les qualités générales, l’essence des caractères et des conditions. La farce nous ramène au particulier, aux faits, aux individus, à l’accident sans portée à qui l’on ne demande que de faire rire. Le domaine de la farce est immense et confus : elle n’a de limites que l’expérience et la sensation du peuple à qui elle doit procurer, comme dit Sibilet, « un ris dissolu ». Car il n’appartient qu’aux époques de réflexion raffinée de goûter l’imitation des mœurs étrangères ou inconnues : l’instinct spontané de la foule inculte ne réclame que l’imitation des mœurs connues et familières. Ainsi, selon les milieux, la farce se diversifie : la farce judiciaire, parodie de la procédure et du jargon de la chicane, amusera les basochiens ; les écoliers feront leurs délices du jargon latin et des calembours ou drôleries pédantesques ; le paysan ne se lassera pas de se voir en scène, lui, son ménage, femme, voisins, M. le curé, le frère quêteur du couvent prochain, parfois le magister de son village, ou le charlatan à qui il demande une drogue quand sa femme ou lui sont bien malades, souvent le soldat, qui est son ennemi naturel. La forme pareillement sera variable, d’autant que nulle idée d’art ne restreint la liberté de l’imitation. Telle farce inclinera à la comédie ; telle autre se composera de deux ou trois scènes sans action ; telle sera un monologue. Tout ce qui fait rire du « ris dissolu » est farce : ainsi le sermon joyeux. Ce peut être à l’origine une farce de gens d’Église, comme un plaidoyer ridicule sera une farce de gens de Palais. Mais comme le paysan assiste règlement au prône, il s’amusera sûrement d’une harangue grossière, où il retrouvera les phrases, les citations, le ton de son curé : et plus le sujet sera libre et ordurier, plus le contraste de la forme dévote lui paraîtra piquant.

M. Petit de Julleville enregistre dans son catalogue environ 120 farces et une quarantaine de sermons joyeux et monologues, dont six ou sept n’ont sans doute pas été faits pour la scène. Mais ces 150 pièces ne représentent qu’une partie infiniment petite de la production comique des xve et xvie siècle. Si l’on songe que de ces 150 pièces, 61 nous sont connues par le recueil imprimé du British Muséum, et 72 par le manuscrit La Vallière, que les premières semblent s’être jouées dans la région lyonnaise, et les autres en Normandie, qu’enfin la plupart de ces pièces ne sont pas, dans leur forme conservée, antérieures au xvie siècle, on concevra qu’il n’y a guère d’induction à tirer, de l’ensemble des œuvres que nous avons, sur révolution du théâtre comique. Ou