Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/240

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
218
littérature dramatique.

un état qu’un caractère : sa séduction est d’être autre, et surtout de meilleure condition, que le mari. Ce trio devient un quatuor par le valet niais ou rusé, doublure du mari ou de la femme. Parfois l’amant reste à la cantonade : le couple alors se présente dans un tête-à-tête sans tendresse, ou bien s’annexe la belle-mère, ou un autre couple, pour aboutir toujours à la même morale.

Voilà, en somme, l’esprit des farces : un bon sens tout terre à terre, un manque essentiel de confiance, de charité, de tendresse, une moralité réduite à peu près à la honte d’être dupe, avec une instinctive sympathie pour les dupeurs en tout genre. C’est le type inférieur de l’esprit français dans sa pure vulgarité.

Les farces du xve et du xvie siècle sont, au point de vue de l’art, presque toutes médiocres ou mauvaises. Il y a bien quelques exceptions : parmi les pièces assez nombreuses qui font la satire des gens de guerre, tout le monde a lu ce délicieux Franc Archer de Bagnolet, qui figure toujours dans les œuvres de Villon, et que nul aujourd’hui ne lui attribue. Il y a de la gaieté aussi dans la farce des Trois Galants et Phlipot [1] : Phlipot est ce brave qui à Qui vive ? répond : Je me rends, et qui crie à tour de rôle : « Vive France ! vive Angleterre ! vive Bourgogne », jusqu’à ce que, menacé de toutes parts, et ne sachant où se fourrer, il lâche ce mot grandiose : « Vivent les plus forts ! »

Mais, comme je l’ai dit, le thème fondamental de la farce, c’est l’antagonisme du ménage : en ce genre, on a depuis longtemps cité, et on a eu raison de citer, la Cornette [2] et le Cuvier [3]. Là, en effet, il y a comme un rudiment d’art, une manifestation au moins d’un certain sens instinctif qui aurait pu transformer la farce en comédie. Car ces deux pièces nous présentent chacune une idée comique, développée, retournée, prolongée, de façon à en épuiser l’effet. Cette fois, les auteurs ne se sont pas contentés d’indiquer la situation : ils ont pris la peine de la traiter. Dans la Cornette, un vieux mari cajolé, berné, prévenu par sa femme, n’entend pas le mal que ses neveux viennent lui en dire, et, grâce à un stratagème de la rusée coquine, prend pour railleries sur sa cornette toutes les vérités qu’ils lui content de sa moitié ; dans le Cuvier, un faible mari, opprimé par sa femme et sa belle-mère, a accepté de faire le ménage, la lessive, balayer, cuire le pain, soigner le marmot, etc. ; mais une bonne occasion s’offre de s’insurger sans péril, et de redevenir maître chez lui du consentement de sa femme. Dans l’une et l’autre farce, la fantaisie bouffonne de

  1. Le Roux de Lincy, t. IV, n°12.
  2. 1545. L’auteur est Jehan d’Abondance, basochien et notaire royal de Pont-Saint Esprit. Recueil Fournier, p. 438.
  3. Anonyme. Recueils Fournier et Picot, et Ancien Théâtre français, t. I