Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
renaissance et réforme avant 1535.

Ainsi s’affranchir par l’entendement, se donner par l’amour, voilà l’idéal de cette noble femme. Plus caractéristique encore est la jolie Comédie jouée à Mont-de-Marsan en 1547. Ni la mondaine, ni la superstitieuse (catholique), ni même la sage (calviniste), ne la satisfont ; seule, la Bergère ravie de l’amour de Dieu qui ne dogmatise pas, est selon son cœur. Mais le bon sens français la garantit des aventures du sentiment. Elle n’échappe pas au galimatias mystique ; mais, avec un ferme jugement pratique et moral, elle fixe la limite au libre développement de l’individu. Elle restreint la virtû par la vertu. On ne l’a pas toujours comprise. On l’a calomniée dans sa vie et dans son œuvre.

Cette œuvre nous révèle la complexité de sa nature. On y démêle très aisément comment le style moderne de l’esprit français se dégage du moyen âge sous l’influence de l’Italie et de l’antiquité. Au moyen âge appartiennent certains genres que cultive la reine Marguerite, les mystères, moralités, farces ; certaines formes d’idées et de composition, les abstractions, les allégories, les constructions, si j’ose dire, massives et subtiles ; certaines doctrines, la galanterie logique et chevaleresque ; un certain extérieur enfin, une certaine attitude et démarche de l’œuvre, je ne sais quelle raideur encore gothique, une héraldique complication de lignes entortillées sans souplesse. On sent des souffles d’Italie, dans l’Heptaméron issu du culte de Boccace, et les anciens sont de moitié avec l’Italie dans le platonisme, qui concourt, avec la théorie courtoise et la tendresse mystique, à former l’idéal amoureux de la reine, dans la mythologie qui ne séduit plus par l’absurdité merveilleuse des faits, mais par son beau naturalisme et par sa vérité pathétique, dans une aisance enfin de la pensée, du sentiment, de tout l’être, qui soulève, anime, illumine la raideur rebelle des formes surannées. Mais à la Renaissance religieuse, à la Réforme, il faut rendre les inquiétudes morales, la revendication pour le fidèle du droit d’interpréter l’Écriture, et certain effort sensible pour ramener vers le doux Rédempteur et le Père incompréhensible le culte un peu trop détourné au moyen âge sur l’humanité plus prochaine de la Vierge.

L’apparente incohérence de l’œuvre de Marguerite se réduit facilement à quelques traits principaux :

1° Elle a ouvert la source du lyrisme, qui est dans l’émotion personnelle ; quelques élans de foi ou d’amour fraternel nous le montrent [1].

2° Elle indique ce que la vie, la nature recèlent de poésie ; elle trouve dans la spontanéité des impressions le principe de la noblesse et de la beauté [2].

  1. Cf. les Marguerites, éd. F. Franck, t. I, p. 41 et 46 ; t. III, p. 88 et 92 ; t. IV, p. 128.
  2. Ibid., t.I. II, p. 4 et 23, et passim ; t. III, p. 168.