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clément marot.


4. RÉVEIL DE L’ESPRIT CHEVALERESQUE.


Marot séduisit les contemporains comme la postérité : en vain Sagon et quelques envieux l’attaquèrent. Il prit posture de chef d’école, et on le voit quelque part exposer gravement à ses disciples la règle des participes. Ce qui restait de rhétoriqueurs guindés ou de cyniques bourgeois dans les provinces se fondit peu à peu dans son école : quand il mourut, tout le reconnaissait pour maître. À la cour, son luthéranisme ne l’avait pas discrédité : mais là il était plus facile de l’admirer que de l’imiter. Mellin de Saint-Gelais [1], qui fut après lui le plus en vue des poètes de cour, était son aîné : mais homme du monde, plus qu’écrivain, il ne recherchait pas la gloire littéraire ; il ne s’exposait pas volontiers au public. Il s’effaça devant Marot, par nonchalance plutôt que par modestie. L’exil, puis la mort de Marot le poussèrent au premier plan.

Plus savant que Marot, possédant parfaitement le grec comme le latin, traduisant, paraphrasant en français, ou imitant en leur langue les poètes de Rome, il représente mieux l’esprit de l’humanisme : mais il est surtout italien, et il unit la froideur maniérée du pétrarquisme à quelques restes de raide subtilité qu’il a hérités de son père Octovian. La grosse obscénité, à la gauloise, commence à tourner chez lui en mignardise polissonne. Sa galanterie, quand elle n’est pas cynique, se fait sentimentale avec préciosité. Sauf dans l’épigramme qu’il décoche parfois vivement, il est entortillé, pincé. Même son délayage est alambiqué. La forme est sèche, plus voisine du xve siècle que celle de Marot ; la pensée est aussi frivole, et moins sincère. Ce que la poésie de circonstance a de plus léger, voilà son genre : des étrennes, des vers de mascarade et de ballet, des inscriptions à mettre sur des luths, sur des boites, pour des cadeaux.

La vie de cour italienne, transportée chez nous, aboutit à une sorte de restauration féodale et chevaleresque. La délicatesse ultra-montaine aide nos seigneurs à dissiper la lourdeur du bon sens bourgeois dont leurs pères avaient subi la contagion : l’idéal romanesque de la féodalité française reparaît, réveillé au fond des

  1. Biographie : Mellin de Saint-Gelais (1487-1558), fils du poète Octovian de Saint-Gelais, évêque d’Angoulème, fut très bien instruit en langues, sciences, armes, arts libéraux, étudia le droit aux universités de Poitiers, Bologne, Padoue, entra dans les ordres en 1524, et devint aumônier du dauphin. Il était aussi, en 1544, gardien de la bibliothèque de Fontainebleau.

    Éditions : Lyon, 1547, et 1574 ; P. Blanchemain (Bibl. elzév.), 3 vol. in-16, 1873.

    À consulter : Vies d’Octovian de Saint-Gelais, Mellin de Saint-Gelais, etc., par G. Colletet, publ. pur Gellibert des Séguins et Castaigne, Paris, 1863, in-8.