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le moyen âge.

nouveaux territoires à leur couronne, la langue française faisait, elle aussi, des conquêtes, disputant leur domaine avec plus ou moins de succès tantôt au celtique, tantôt à l’allemand, tantôt à l’italien, et tantôt au basque : de langue officielle et administrative, tendant partout à être langue de la littérature et des classes cultivées.

Il faut noter aussi son expansion hors des limites de l’ancienne Gaule, et ses conquêtes, parfois temporaires, en lointain pays. Pendant un temps, l’Angleterre, l’Italie méridionale et la Sicile appartiennent à la langue d’oïl : une riche littérature de langue française s’épanouit des deux côtés de la Manche dans les possessions des successeurs de Guillaume le Conquérant, et le Jeu de Robin et Marion fut écrit au xiiie siècle pour divertir la cour française de Naples. Même en Terre-Sainte, à Chypre, en Grèce, le français eut un règne éphémère : et notre langue s’enrichissait en terre byzantine ou sarrasine de monuments tels que la Chronique de Villehardouin et les Assises de Jérusalem.

Encore aujourd’hui, la langue française déborde les frontières françaises. Elle occupe, depuis les origines, certaines régions de la Belgique et de la Suisse : et ces deux états ont développé, à côté de notre littérature nationale, des littératures de langue française aussi, robustes et modestes, qui, dans leur longue durée, ont eu parfois des heures brillantes [1].

Dans l’époque moderne, la Révocation de l’Édit de Nantes a jeté en Hollande un petit monde de théologiens érudits et militants, qui firent pour un temps de ce pays étranger un grand producteur de livres et de journaux français. Les entreprises coloniales portèrent notre langue plus loin encore. Elle s’établit au Canada et poussa de si profondes racines, qu’après un siècle et plus de domination anglaise, elle s’est maintenue dans sa pureté et dans sa dignité, apte même à la production littéraire. Elle s’est implantée dans nos colonies d’Afrique et d’Amérique, dont la contribution à la littérature n’est pas insignifiante, si, de là, sont venus Parny et M. Leconte de Lisle, sans compter Alexandre Dumas, fils d’un mulâtre de Saint-Domingue.

Je ne parle point d’une expansion d’un autre genre : celle où la littérature porte la langue avec elle au lieu de la suivre, celle qui résulte de l’éclat de la civilisation française et de l’influence intellectuelle exercée à l’étranger par nos écrivains. Dès le moyen âge, la séduction de nos idées et de nos écrits fait délaisser à des étrangers leur langue nationale pour la nôtre ; le Florentin Brunetto Latino, au xiiie siècle, se fera une place parmi les prosateurs français comme au xviiie le Napolitain Galiani et le Prussien Frédéric.

  1. Ph. Godet, Histoire littéraire de la Suisse romande ; V. Rossel, Histoire de la littérature française, hors de France, 2e édit., 1894, in-8.