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les mémoires.

ne pas y souffrir de rupture par la division religieuse, la France fut un des grands champs de bataille que l’Église et la Réforme se disputèrent. La lutte fut d’autant plus âpre, que les passions fanatiques furent aigries, enflammées, utilisées par les intérêts et les égoïsmes : la noblesse y prit l’occasion de jouer une dernière et sérieuse partie contre la royauté envahissante, et, sous les noms de protestants ou de catholiques, abrita des rancunes et des ambitions féodales. Mais il faut tenir compte surtout des individus, qui, prenant le déploiement de toutes leurs énergies pour règle et pour fin de leur activité, faisaient servir à eux-mêmes les causes qu’ils servaient, et ne cherchaient réellement dans le triomphe poursuivi du calvinisme, ou du catholicisme, que les moyens d’étendre et d’enrichir leur personnalité.


1. CONSTITUTION DES SPÉCIALITÉS SCIENTIFIQUES.


Pendant cette trentaine d’années de luttes furieuses que je n’ai point à raconter, la littérature poursuivit son progrès. Ronsard se compléta par la Franciade ; le large torrent de la Pléiade se réduisit à un mince filet ; Desportes hérita de Ronsard, et Malherbe même écrivit ses premiers vers.

Dans les œuvres à qui une idée d’art ne donne pas naissance, et qui usent de la prose, les conséquences du fait capital que j’ai déjà signalé continuent de se développer : les gens se distinguent, les esprits se spécialisent, et le domaine de la littérature se précise en se restreignant. Les conteurs limitent leur ambition et leur effort : entre la bouffonnerie épique, l’universalité scientifique de Rabelais, et la gauloiserie satirique sans portée des anciens conteurs français, ils déterminent une voie moyenne : Noël du Fail[1], surtout, mêle le réalisme pittoresque de la description des mœurs à la satire particulière des divers caractères de l’homme et des divers états de la vie.

La philosophie se sépare de la littérature : Ramus[2] ne nous

  1. N. du Fail (vers 1520-1591) fut juge au présidial de Rennes, puis conseiller au Parlement de Bretagne. Éditions : Discours d’aucuns propos rustiques, facétieux, et de singulière récréation, 1547 ; Baliverneries, 1548 ; ces deux ouvrantes sous le pseudonyme de Léon Ladulphi, anagramme de N. du Fail ; Contes et Discours d’Eutrapel, 1585. Œuvres, Bibl. elzév., 2 vol. 1874. Propos rustiques, éd. de la Borderie, 1878.
  2. P. de la Ramée, né en 1515 dans un village du Vermandois, soutint avec succès, en 1536, pour être maître es arts, sa fameuse thèse contre Aristote ; mais, ayant redoublé ses attaques dans deux livres latins, il fut condamné en 1543. Principal du collège de Presles, puis en 1551 professeur royal, il fut en faveur à la cour sous Henri II, mais à avait d’ardents ennemis dans l’Université, notamment Charpentier ;